ÉCHOS

Mort de Jehan Rictus. — Mort de Fagus. Prix littéraires. — Prix Moréas. A propos du « Droit de Relief ». — François Coppée à l'Opéra. — L'humour de Pompon. — La bibliothèque des tsars et la littérature française. — Littérature et loterie. — Le livre qu'aimait Dorian Gray. — Les drôleries du dictionnaire. — A propos du soldat de Mercier. — Le Sottisier universel.

Mort de Fagus. — Dans une lettre datée du 9 décembre 1928, Fagus, m'énumérant les dispositions qu'il avait depuis longtemps prises en prévision de sa mort, écrivait cette phrase : « Il m'arrangeait même de finir à la Charité. »

Venait, immédiatement après, un brouillon du billet de faire-part rédigé de sa main et ainsi conçu :

+ M

Priez pour l’âme de Georges-Eugène Faillet, dit Fagus, décédé pieusement le…

Dona et requiem Domine.

C'est à la Charité que le poète est mort le mercredi 8 novembre, à 10 heures 15 du soir, des suites — comme il l'avait prévu depuis longtemps — d'un accident survenu dans les circonstances suivantes.

Le même soir, à 7 heures, Fagus était descendu, selon son habitude, acheter le journal. Il se trouvait sur le trottoir, à quelques pas de son domicile (12, rue Visconti) et allait rentrer chez lui lorsqu'un camion automobile qui, d'après tous les témoignages, circulait sans précaution et en empiétant sur le trottoir de cette voie étroite, le heurta et le projeta violemment sur le sol. Relevé par sa concierge, par sa femme descendue aussitôt et par un agent, il avait gardé toute sa connaissance et se plaignait seulement de douleurs dans les reins et d'un choc au front. Il donna lui-même à l'agent les renseignements d'état civil sur lui et ses ascendants et fut conduit en voiture à l'hôpital de la Charité. « Comme je voudrais pouvoir dormir », dit-il, en arrivant. On le plaça dans un lit. L'interne qui l'examina ne découvrit aucune lésion d'apparence sérieuse. Lorsque Mme Fagus revint, trois heures plus tard, l'infirmière lui parla de façon rassurante : « Ne vous inquiétez pas. Ce n'est rien. Un choc. Quelques jours de repos, il n'y paraîtra plus. » — « Vous ne voyez donc pas qu'il est mort ! » répondit Mme Fagus après avoir constaté qu'aucun souffle ne sortait plus de sa bouche. Ses mains étaient encore tièdes. Il venait de succomber, à une hémorragie interne, vraisemblablement.

Ses obsèques ont eu lieu le 17 novembre, en présence d'un grand nombre d'admirateurs et d'amis. Après le service funèbre, célébré à l'église Saint-Germain-des-Prés, le corps a été conduit au cimetière de Belleville.

Fagus avait un peu moins de 62 ans, étant né le 22 janvier 1872, de parents français, à Bruxelles où son père, directeur des Contributions de la Commune, avait dû, proscrit, se retirer. On trouve, après l'amnistie de 1880, ce fils de communard installé avec ses parents, à Belleville, 85, rue Haxo, au coin de la « Villa des Otages ». Il apprend à lire dans Les Châtiments, fait ses études à l'école laïque et à Colbert, en sort le 10 août 1888, entre, le 21, comme employé à la Compagnie d'assurances « l'Urbaine » où il reste jusqu'à son service militaire accompli dans les chasseurs à pied, à Lunéville.

Je le connus aux environs de 1898 (alors qu'il venait d'entrer à la Préfecture de la Seine), dans le groupe de Bellevillois — « Ceux de Belleville » — où se rencontraient Jean Dolent, P.-N. Roinard, Degron, Cuvilliez, Strentz, le musicien Rogerie, les dessinateurs Front, Gottlob, le sculpteur Fix-Masseau, etc. C'est toujours sous l'aspect, sous le béret et la pèlerine, que je lui vis en ce temps-là que Fagus se présentera à ma mémoire. D'ailleurs, au béret près (il l'avait remplacé au lendemain de la guerre par un calot et, plus récemment par un chapeau melon) la silhouette du poète n'avait pas beaucoup changé. Son caractère non plus. Les années n'atténuèrent jamais la flamme intérieure qui l'anima dès ses débuts et qu'il sut garder — comme son ardeur amicale — vive jusqu'à la fin. Au hasard de nos promenades dans les rues du quartier, comme dans les réunions de « Ceux de Belleville » ou aux bureaux du journal l'Aurore où l'accueillit le directeur, un ami de son père, Ernest Vaughan, nous vîmes naître ses premiers poèmes, ses premiers essais, ses premières critiques que publièrent (1898-1902) la Revue des Beaux-Arts, la Revue blanche, la Plume. Dans cette dernière revue, où il avait débuté en 1992 par un article sur « les Protestants de la musique », sa rubrique Parloir aux Images marqua son évolution catholique qu'accentua sa collaboration (1903-1906) à la Revue de Champagne et, surtout (1908-1914), à l'Occident dont il fut un des rédacteurs ainsi, par la suite, qu'à Pan, les Horizons, Isis, Les Guêpes, le Mercure de France, l'Action française, le Feu, la Revue critique, les Marges, le Divan, la Muse française, la Revue bleue, la Revue de Hollande, la Revue du Siècle, etc.

Ixion, poème en trente chants (1903), est son œuvre la plus significative de cette période, un recueil où les vers ont un rythme, un tournoiement qui répondent à merveille au symbole du titre et à la pensée de l'auteur ; Testament de sa Vie première, « sous l'invocation de son grand frère Arthur Rimbaud » (1898) ; Colloque sentimental entre Emile Zola et Fagus (même année), la série des pièces de vers qu'il allait déposer chaque jour chez Zola pendant le procès ; Jeunes fleurs (1906), exercices poétiques « destinés aux ensembles futurs » ; des Aphorismes (1908), où se manifeste un prosateur aussi savoureux que le poète ; un Discours sur les préjugés ennemis de l'Histoire de France (1910) dissertation sur un livre de l'abbé de Pascal, furent les travaux publiés avant la guerre par Fagus.

Mobilisé en 1914, il crut « piétiner dans les coulisses de l'Epopée ». Car il transfigurait les pires réalités avec « la magie du rêve ». Et, tout de suite après l'armistice, il se remit joyeusement à la réalisation de ses grands projets. Il commença l'Essai sur Shakespeare (publié en 1923) et un Mystère royal de Philippe-Auguste, promis à Paul Fort et qui parut en 1930. Mais, il faut se reporter à un avertissement adressé au lecteur en tête de Frère Tranquille (1922) pour se faire une idée d'ensemble de l'œuvre de Fagus poète catholique. Méditation lyrique sur la mort, Frère tranquille fait partie d'un ensemble inspiré de la devise des Dominicains : « L'univers s'agite au pied de l'immuable Croix », qui complétait, dans sa pensée, l'épigraphe d'Ixion : « L'homme passe sa vie à se fuir et se poursuivre. » Cet ensemble comporte : Le Massacre des Innocents (publié en partie sous le titre Jeunes fleurs ; la Guirlande à l'Epousée (1921) ; Frère tranquille ; Ixion ; la Danse macabre (1920) ; l'Evangile de la Croix et la Croisade de l'Antéchrist (inédits) ; Frère tranquille â Elseneur (1932).

Pour sévère qu'apparaisse ce plan, il ne retira jamais rien à Fagus de son libre génie, de son goût des thèmes populaires, du primesaut de son esprit, toutes qualités qui rendent son oeuvre si personnelle, si émouvante. Sa prose, ses chroniques des Marges et du Divan comme ses vers vibrent d'une robuste allégresse, d'une sensibilité aiguë et toujours en éveil. A son érudition, à son amour désintéressé des lettres on doit encore La Prière des quarante heures (1920) ; Le Jeu-parti de Futile (1920) ; Clavecin (1926) ; Rythmes (1926) ; Le Sacre des Innocents (1927) ; une transcription de la Chanson de Roland (1929) et une traduction des Eglogues de Virgile (1930).

Quant à ses qualités d'épistolier, on put les apprécier quand parurent ses Lettres à Paul Léautaud (1928). Elles sont exceptionnelles de vie, d'abondance, d'entrain, de gaieté les lettres qu'il a envoyées, par centaines, à ses amis Elles constituent un mémorial littéraire plein de verdeur portant sur près de trente années.

J'ai la vanité d'espérer, m'a-t-il écrit à ce sujet, le 7 juin 1927, que sera conservé quelque chose de mes épîtres encore qu'écrites à la diable, entre deux rapports administratifs. Et de croire que ce quelque chose ne sera pas inutile. Pour quoi je désire, essentiellement, que toute ma correspondance soit publiée.

Elle le sera. — L. DX.

Mercure de France, 1er décembre 1933, p. 501-504.


LES REVUES

Le jour même que les journaux annonçaient la mort de Fagus, écrasé par un camion, rue Visconti, nous lisions dans Les Marges (10 novembre) sa chronique « Quiquengrogne ». A deux reprises, le regretté Fagus y cite la rue où le destin devait le frapper :

Une nouvelle lamentable ! La maison où Racine mourut, rue Visconti, elle est en vente. Cela me porte un petit coup au cœur, quand je passe devant, chaque matin.

24, rue Visconti, une plaque modeste avertit le passant que :

Le 25 avril 1699
RACINE
est mort dans cette maison.

Tout contre, une large pancarte porte : Immeuble à vendre.

(Charles-Henry Hirsch, Mercure de France, 1er décembre 1933, p. 437-438.)


Entoilage prévu

Mercure de France, 15 décembre 1933, p. 710-711.


Entoilage prévu

(Charles-Henry Hirsch, Mercure de France, 1er janvier 1934, p. 192-194.)


Entoilage prévu

(« Echos », Mercure de France, 15 janvier 1934, p. 507-508.)


(Eugène Montfort, « Fagus » Les Marges, 10 décembre 1933, p. .) : si vous avez le texte...

(Y.-G. Le Dantec, « Dernière vision de Fagus » Le Feu, janvier 1934, p. .) : si vous avez le texte...