Charles-Théophile Féret (1859-1928 ) |
||
1. « Les fêtes de Coutances en l'honneur de Remy de Gourmont », Belles-Lettres, n° 40, octobre 1922, p. 436-439 2. « Pour Remy de Gourmont », Belles-Lettres, n° 40, octobre 1922, p. 388-390 ; Le Figaro, 1er octobre 1922 ; La Mouette, n° 59, novembre 1922 ; Imprimerie gourmontienne, n° 7, 1923, pp. 21-23 3. « L'ombre de Remy de Gourmont », Mercure de France, n° 623, 1er juin 1924, pp. 564-565 Les samedi 23 et dimanche 24 septembre, les amis de Remy de Gourmont, à l'appel de son frère, ont honoré le merveilleux écrivain que nous pleurons, dans sa petite ville. Il était né dans l'Houlme, à Bazoches (Orne) ; mais c'est à Coutances que s'écoula son enfance, au collège de Coutances qu'il fit ses études, et c'est là qu'il venait passer ses vacances. Depuis 1918 il n'y retrouvait plus son père, non plus le vieux poète Blier son ancien professeur, qui avait deviné le génie de son élève adolescent. Gourmont, qui portait d'argent au croissant de sable, au chef de gueules, chargé de 3 roses d'or (et pendant les fêtes ce vieux blason normand timbra l'entrée du Musée Coutançais), avait pour ancêtre un viking, le roi Gormon, prince de Danemark, qui, débarqué en Normandie avec Rollon, y fit souche. On sait quels éminents graveurs, peintres, savants, imprimeurs, nous devons à cette famille, dont Remy fut la fleur suprême. Gilles de Gourmont imprima dans ce pays le premier livre en caractères grecs. Remy comptait François de Malherbe dans son ascendance maternelle. Voici quel fut le programme des fêtes. Le 23, dans l'Orangerie du Jardin public, exposition de peintures et gravures, du groupe des Imagiers de Coutances, qui, d'une ruelle de la ville, ont pris l'enseigne du Pou qui grimpe. Joseph Quesnel en est l'animateur zélé. (Willette, François Enault, M. et Madame Clément-Chassagne, Georges Laisné, poète et aquarelliste de grand talent, l'admirable Raymond Bigot, d'Honfleur, avec ses canards, ses coqs, chouettes, perroquets, hérons, traités à la manière japonaise et avec une maîtrise digne des meilleurs artistes nippons, A. Burn[o]uf, Jean Thézeloup (étains repoussés), Arlette Bouvier, Raoul Dufy. On y avait joint une iconographie de R. de Gourmont et exposé plusieurs de ses manuscrits. A 9 heures, au théâtre municipal, conférence très documentée d'un témoin de la vie de Gourmont, Louis Dumur. Récitation de poèmes et de proses du Maître. Représentation d'une de ses pièces inédites, L'Ombre d'une femme. Le compositeur Woollett, un pur havrais sous ce nom britannique, et un grand talent, avait fait la musique de Simone. Madame Bathory la chanta avec grand charme, aussi Les Saintes du Paradis. Une splendide Picarde qu'un jeune philosophe à mes côtés nommait une hamadryade de crème et d'or, nous dit « Le vieux Roi », fragment de Mariotte et Le vieux Coffret. M. Laisné lut un fragment de Petite Ville. Le lendemain, le maire de Coutances, M. Leconte, qui fut un camarade d'enfance de Remy, nous reçut à l'Hôtel de Ville avec les amis nombreux du mort, Alfred Val[l]ette, Rachilde, G. Le Cardonnel, G.-L. Tautain, Bernouard et cæteri. M. Souriau, de la faculté de Caen, représentant le Ministre de l'Instruction, publique, improvisa une allocution émue en l'honneur de celui dont on a pu dire que n'étant, d'aucune Académie, il avait des titres éclatants pour honorer chacune des Sections de l'Institut. M. Souriau loua la fécondité littéraire de la Normandie (Salve, Normannia nutrix !). Et maintenant la fête populaire. On avait élu des Reines, celle des Lilas, celle des Cerisiers, du Pommier fleuri, de la Rose-au-Bois. Des chœurs de voix fraîches ont chanté des Rondes et des Chansons normandes d'autrefois. Des chars fleuris ont parcouru la ville encadrés de jouvencelles en costumes anciens, en coiffes de Caux, du Roumois, de Vire et du Bocage, de Lisieux, et du Cotentin. Des fillettes évoluaient sous leurs ailes de gaze, elfes et lutins. Qu'elles furent louées pour leur jeune grâce, les Coutançaises et les Parisiennes un peu effacées par les beautés de la verte Péninsule ! On contemplait de tout près leurs chastes atours, et, pendus à leur cou d'ambre ou de lait, ces bijoux rituels de la vieille province et les Saint-Esprit. Les rues étroites et bossues, d'où s'élance la sublime beauté de la cathédrale, par-dessus tous les murs et tous les pignons, étaient fleuries avec un goût rustique et charmant, et (je crois que c'est à ma prière transmise par Jean de Gourmont) l'on n'avait pas oublié le bouleau, le feuillage cher aux poètes skaldiques. René-Louis Doyon disait que le jardin public de Coutances était un petit Luxembourg. Moi je le préfère pour son charme plus intime et ses verts plus doux et plus nuancés, au jardin dessiné par Debrosse. Il n'est séparé du vieux logis familial et du verger des Gourmont, que par un chemin profondément encaissé qui fut un saut de loup. C'est dans un carrefour de ce jardin que fut inauguré le buste qui s'élève d'une gaine, d'un terme, en pierre de Lorraine d'un beau grain. C'est l'œuvre très admirée de Suzanne de Gourmont, la charmante sœur que le Maître n'a point connue, la sœur posthume qu'il doit aux noces de son frère Jean. Elle a travaillé d'après une iconographie heureusement abondante ; et chacune de ses cires d'essai, miraculeusement, évoquait une ressemblance frappante de l'auteur de Sixtine, à des âges divers. N'en doutons pas, Remy l'inspirait, et conduisait le pouce modeleur. Il se voulait revoir aux étapes de sa vie, dans sa jeunesse et dans sa force mûre. Puis, pour la perdurable effigie, il élut une forme un peu hiératique, et pourtant ironique aussi, qui donne une impression très vive de puissance calme et fine. Il était émouvant, pour ceux qui ont aimé Remy de Gourmont, de porter leurs regards du buste au visage d'un autre frère du Mort, présent à la cérémonie, et qui lui ressemble... comme un Ménechme. Le premier discours fut prononcé par M. Morel, représentant la Société des Gens de Lettres (dont Remy ne fut point). M. Morel a tous les dons, même physiques, de l'orateur, il a dit tout le nécessaire sans être long. M. Marcel Coulon lui succéda, avec une inépuisable éloquence qui n'a point redouté les expressions un peu familières, avec une préoccupation (qui parfois causa une gêne et presque une tristesse) de marquer les limites définitives au génie de Gourmont. Comme si nous les pouvions dès maintenant mesurer ! Réservé le domaine de la Poésie (et pourtant qu'elle est odorante la pommeraie où il mena Simone !), Gourmont grandira au fur et à mesure que nous nous éloignerons de ses cimes. M. Coulon, certes sans le vouloir, a meurtri notre ferveur, et un jour tel ! Le Docteur Voivenel, lui, prononça un discours émouvant. Je passerai pour manquer de mesure dans l'éloge auprès de ceux qui ne l'ont pas entendu. Je ne connais pas d'aussi admirable orateur. Créateur de métaphores naturelles, logiques, neuves, empruntées souvent à la médecine, toujours claires et pour tous, il a su, lui, dont ce n'est pas la profession d'écrire, du moins pas la principale fonction, car nul n'ignore ses travaux, il a su éclairer la formation du génie Gourmontien, montrer les origines, les causes physiques de l'œuvre intellectuelle (mais il n'est pas légitime d'employer ces termes qui semblent admettre deux éléments, alors qu'il n'en est qu'un seul, et puisque tout se doit ramener au mouvement d'une matière unique, modifiée par les chocs qu'elle reçoit). M. Souriau parla de nouveau avec émotion et finesse, et le signataire de ces lignes lut un poème qu'on trouvera ici, et qu'il eût été heureux de remplacer par le texte des discours, si Belles-Lettres y pouvait consacrer trois cents pages. La cérémonie fut parfois mouillée. Les arbres qui s'étaient vêtus de pourpre et de vermillon, les vignes vierges qui avaient voulu leurs guirlandes plus rouges que les roses, en l'honneur du visiteur d'autrefois qui ne viendra plus sous leurs festons et sous leurs voûtes, mêlaient, leurs larmes à celles de notre adieu ! Le soir, au banquet de l'Hôtel de Ville, l'illustre Jules de Gaultier et le bon poète Jean Royère, rendirent d'autres hommages à Remy de Gourmont, et son frère Jean remercia les organisateurs les visiteurs, les amis. Il lut les excuses de M. Régnier et les télégra[m]mes d'autres absents. Puis nous l'avons suivi à travers les rues noires, mais noires comme de l'encre de Chine, vers le bal des jeunes Reines, qui le jour avaient honoré son frère à pleine gorge, et maintenant le faisaient à bonds et à volées. CHARLES-THÉOPHILE FÉRET. Aux jours du grand Exode, un roi du Nord, pour fuir Curieux d'autres ciels, d'autres tresses, avide La forteresse avait chancelé sur le mont, Et la terre sentait le roussi, décimée La flèche de Moustier et le clocher roman, Ayant été celui qui combat et terrasse, Et, barbare affiné par ses riches butins, Et quoiqu'il fut toujours servi par ses Génies, Heureux les commensaux de sa pensée ! Heureux C'est que voici ton fils, et c'est qu'il te demande Son palais fut celui de la mysticité, Bois dorés, étains bleus, ferronnières, agates Il fut d'hier, et son Ancêtre est d'aujourd'hui. C'est ainsi que depuis l'ère de notre Hégire, Adieu, Gourmont ! Dans la langue tu vis encor, Du culte des Héros les frères ont la charge, CHARLES-THEOPHILE FERET. 19 septembre 1922. (Imprimerie gourmontienne, n° 7, 1923, pp. 21-23) Lors de l'inauguration de la plaque commémorative du 71, rue des Saints-Pères, le 9 mai 1924, Charles-Théophile Féret lira lui-même le sonnet suivant : N'en doutez pas ! L'ombre Elyséeenne inclinée Il voit la jeune sœur que Jean lui a donnée, A ces pas reconnus s'émeut d'un souvenir L'air palpite d'un invisible battement. (Mercure de France, n° 623, 1er juin 1924, pp. 564-565) |