Mais un désir me ramène au jardin

Dans l'après-midi souvent, il part avec sa mère pour le parc Emmanuel Liais. C'est un jardin secret ; il faut être initié : rien ne l'annonce du dehors : une entrée sombre, et soudain on est dans la forêt tropicale : des bambous où l'on se cache, de grands palmiers, des arbres inconnus qui balancent dans le ciel des feuilles comme des lames. Un jour que père les accompagnait, il a prononcé leurs noms étranges : des cactus, des yuccas, des dracenas, des népenthès, — syllabes qui évoquent le désert, l'Orient. Et au pied d'une grande tour où doivent rêver des reines en regardant la mer, un étang muet où nagent d'immenses floraisons mystérieuses. C'est le jardin secret de son enfance (J. Gaument & C. Cé, Largue l'amarre, Grasset , 1924).


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Comment me suis-je retrouvé au Parc Liais ? Le Parc Liais, c'est d'abord une mare à poissons rouges et blancs, meublée d'un îlet de fleurs, au rocher moussu, jaculant un jet d'eau, courbe, le plus souvent dispersé par le vent ; des théories de nénuphars où songent les grenouilles. Puis, autour, des plantes aquatiques ou non, une pelouse avec ci un sarcophage mérovingien, là un buste ; des allées naturelles ou gravillonnantes, des essences, une serre, une tour, ancien observatoire qu'observent maintenant les arbres qui ont cru plus vite qu'elle — à l'existence — , tour abolie qu'on ne peut visiter ; pour observer quoi ? Autour encore les rues de la ville.

Deux entrées ; l'une de pierre ; l'autre de verdures.

Des chats y rôdent

Il est Minuit. Je pénètre le Musée.

Quelles rencontres — ainsi je vois, ainsi je raconte — que celles d'un silex, d'une momie,d'un pélican ; d'une tortue et d'un crâne d'éléphant. Ce sont les oiseaux qui s'émeuvent les premiers. Aux chuintements suaves des effraies répondent les dociles roucoulements de la tourterelle turque. Les tortues nonagénaires dodelinent frôlées des papillons, le caïman bâille.

Espèce Espace Temps se confondent. Et les images qui troublent la conscience du caillou deviennent visions communes, flottent, s'enchevêtrent et font onduler ma chevelure. C'est le long accouplement de la momie et du silex, rythmé par la danse effrénée d'un crâne de Cro-Magnon. La porte s'ouvre, et les bêtes mortes peuplent de leur fantôme la nature où il fait bon revenir (Ch. Buat, Tandem, Mouvances n°15, automne 1980).

Il y a l'aimable parc Liais, petite oasis tiède et fourrée, presque tropicale, où tant de femmes de marins, jadis, durant le temps des croisières triennales, sont venues rêver de celui qui, là-bas, respirait de pareils effluves avec une vigueur, sans doute, dont elles ne voulaient saisir ni la véhémence, ni l'intigation (Jean de La Varende, Les Côtes de Normandie, 1948, cité par Bernard Boullard, Littoral normand et écrivains, Corlet, 2001).

Au PARC Emmanuel-Liais, il y a...

Une grille qui s'ouvre sur une allée bordée d'aucubas

Une tour aux trois quarts mangée de vigne vierge

Un étang tapissé de nénuphars où nagent des poissons rouges, des poissons blancs

(...) Au parc Liais, il y a aussi :

Un balayeur de feuilles mortes, responsable des grandes eaux, vitrier à ses heures, qui aurait plu à Prévert avec ses gros sourcils broussailleux et sa moustache en tablier de sapeur.

Il veille avec un soin méticuleux à faire appliquer à la lettre le règlement kafkaïen affiché à l'entrée et qui interdit notamment de s'allonger dans les sarcophages carolingiens, de se bécoter sur les bancs publics, d'abattre les hirondelles au lance-pierres.

(...) On croise également dans ce décor naturel qui invite à tourner des films dits d'atmosphère... des gueules d'atmosphère précisément. Ces drôles de zèbres, anges du bizarre, ne quittent pour ainsi dire jamais ce royaume ombragé d'arbres aux noms scientifiques où les rumeurs de la ville parviennent étouffées.

(...) Et toi qui es-tu, vagabond insolite, mi-gavroche, Pierrot, lutin qui apparais avec la nuit, attendant manifestement la fermeture des grilles pour te livrer à d'obscurs desseins en toute impunité ? Quel sacrilège vas-tu commettre ? De la capture des grenouilles aux cuisses alléchantes au vol des orchidées, tu n'as que l'embarras du choix.

Au parc Liais, enfin, il y a une serre et un musée.

(...) La plus belle pièce du musée est sans conteste la momie Pethmoutis ramenée à Cherbourg par le capitaine Troude. On imagine ce Belphégor local quitter sa vitrine à minuit pour se promener parmi les trésors archéologiques et les animaux empaillés dont le phoque Laurel, compère de Hardy, vedettes d'un autre jardin, celui du Roule, mais c'est un autre monde et une autre histoire. (A. Salatko, « Au Parc Liais », Vingt-deux nuances de gris, Presses de la Renaissance, 1990)

Première promenade avec Un cœur virginal