La Normandie illustrée. Cathédrale de Coutances

[...] Sans doute, il ne faut pas négliger la force de la foi religieuse dans l'appréciation de tels faits ; mais la foi n'aurait pas construit toute seule la cathédrale de Chartres : il y fallait le sentiment architectural, le besoin d'élever des monuments, de créer, dans la nature incomprise, de la beauté sensible.

Que l'on considère la situation d'une petite ville, telle que Coutances, bâtie sur l'éperon d'une colline, ne communiquant avec le reste du monde que par un seul mauvais chemin ; elle entreprend l'érection d'une cathédrale, elle la veut belle, et elle la fera belle, l'une des plus belles de France. N'était-ce pas une folie ? Quelles ressources ? Le travail et les dons d'une population pauvre et absorbée son propre labeur. Le plan est manifestement disproportionné avec l'importance de la ville, le nombre des habitants environnants. Mais il s'agit de construire, on flatte une passion plutôt qu'on ne demande un effort : l'œuvre commence et s'achève bientôt. Cela semble miraculeux. Assurément cette région, maintenant riche, pourvue de routes, de chemins de fer, serait incapable aujourd'hui d'un tel prodige, quoique la foi religieuse n'y soit point morte ; mais le goût de l'architecture y est bien mort et les habitants qui ne regardent plus leur cathédrale, quand ils veulent satisfaire leur sensibilité, d'ailleurs bien endormie, vont se promener au bord de la mer : la nature a remplacé l'art.

Mais la sensibilité évolue toujours : la nature, devenue enfin accessible, l'est devenue trop. On l'a mise aussi trop à la portée de tous ; et il est possible que l'art, quelque jour, peut-être l'architecture, si délaissée, reprenne ses droits et nous émeuve encore, comme au temps des cathédrales. Tout est possible. Cependant le présent seul, confronté avec le passé, peut être matière à un discours sérieux. Nous n'avons plus d'architecture créée parce que nous avons découvert l'architecture naturelle. En est-il de même pour la peinture : le paysage a-t-il diminué la valeur émotive du tableau ?

Peut-être. Mais le problème est un peu différent.

« L'architecture », Promenades littéraires, 2ème série, 1906, p. 162