André Billy (1882-1971)

1. R. de Bury, « Les Journaux : La maison de Remy de Gourmont », Mercure de France, 16 août 1918, pp. 713-714

LES JOURNAUX

La propagande française en Espagne (Le Petit Méridional, 8 juin au 2 juillet). — Celui qui inventa le Zeppelin (Journal des Débats, 1er août). — L'intelligence américaine et la nôtre (L'Œuvre, 3 juillet). — La Maison de Remy de Gourmont (L'Œuvre, 8 juillet).

A propos de M. Croquant, le Homais à la mode de 1913 dont Remy de Gourmont nous a laissé l'image, André Billy évoque, dans l'Œuvre, la maison de Remy de Gourmont :

Plus tard, après la guerre, quand nous aurons de nouveau le loisir de penser à ces choses, on mettra une plaque sur la maison qui porte le numéro 71 dans la rue des Saints-Pères : « Ici vécut et mourut Remy de Gourmont », et ceux qui nous suivront diront comme nous : « La maison de Remy de Gourmont ». C'est une vieille maison de la rive gauche, simple et solide, et qui vous accueille avec bonhomie. La concierge que nous y avons connue du vivant de Remy de Gourmont et de son amie, Mme de, Courrière, les a suivis tous deux dans la tombe, mais l'atmosphère n'a pas changé. Le vernis du Japon, dont parle Pierre de Querlon dans sa brochure sur l'auteur de Une nuit au Luxembourg, et qui était tout petit en ce temps-là, a beaucoup grandi ; il forme maintenant dans la cour un jet dru et haut de verdure frissonnante, ombrageant l'imprimerie de l'éditeur-poète François Bernouard. François Bernouard est revenu du front, et il me semble, à l'apercevoir de loin qui surveille le roulement de sa machine, que je suis reporté à dix ans en arrière.

— Je vais te donner mon dernier livre, me dit Bernouard, pour que tu en parles aux lecteurs de l'Œuvre.

Il me tend le Convalescent ou la Berlue rayonnante, pour plaire aux yeux, charmer les oreilles et distraire l'esprit, orné de plusieurs dessins inédits de M. Paul Iribe. L'ouvrage, d'une typographie délicate et raffinée a de quoi plaire aux yeux, en effet. Je l'ouvre et j'y lis ces deux vers :

Profonde sagesse en peu de mots ! Je demande à François Bernouard :

— Et Gaston Deschamps ?

— Il est mort.

Lui aussi. Gaston Deschamps était un lapin à qui on avait donné ce nom en manière de plaisanterie bien littéraire. Il était toujours fourré sous la table de Bernouard, et il rongeait tout ce qui se trouvait sous son bec ; les manuscrits, les épreuves, les beaux exemplaires sur Chine et sur Japon...

Ah ! le coin de Paris charmant qu'était avant la guerre cette cour du 71 de la rue des Saints-Pères ! Rendez-vous de poètes, d'artistes et de philosophes ! On ne montait pas chez Remy de Gourmont sans faire un tour par l'imprimerie de François Bernouard, et il était rare qu'on vînt voir Bernouard sans rendre visite à Remy de Gourmont, ou à son frère Jean, ou à l'extravagante et si bonne Mme de Courrière. André du Fresnois et René Dalize, tous deux tués à l'ennemi, venaient là souvent, de même que Paul Feuillâtre, Pierre-Gérard Jordaens et Charles de Fontenay qui ont eu le même sort, de même qu'André Salmon ; Guillaume Apollinaire — définitivement inapte au combat après trépanation, — Charles Perrès, le poète des Bavardages d'Attila, qui a eu l'autre jour le bras broyé par un éclat d'obus (sa troisième blessure !), Jacques Dyssord, Jean Cocteau, Paul Léautaud, André Rouveyre, Emile Zavie, évadé d'Allemagne, aujourd'hui infirmier dans le Caucase, Francis Carco, redevenu aviateur après réforme, Blaise Cendrars, qui a laissé un bras dans les tranchées de la légion étrangère... Quel massacre ! Quelle dispersion ! Et comme c'est mélancolique, comme c'est triste, cette solitude où François Bernouard fait rouler sa machine, cependant que là-haut, non moins solitaire, Jean de Gourmont habite l'ancien appartement de son frère Remy, dont il a voulu que l'aménagement restât intact, chaque livre, chaque bibelot gardant la place où la main de Remy de Gourmont savait sans hésitation le trouver !

A consulter :

André Billy et le Mercure de France