Ferdinand Brunetière par Vallotton.

1. « Journaux et revues », Mercure de France, septembre 1892

2. « Cosmopolitisme », Epilogues, 1903

3. « Phrases sur Renan », Epilogues, 3e série, 1905

4. « Le divorce », Dialogues des Amateurs sur les choses du temps, 1907

5. « Renan et l'idée scientifique », Promenades littéraires, 1904

6. « M. Brunetière », Antée, janv. 1907 & Promenades littéraires, 3e série, 1909

7. « Copeaux », Promenades littéraires, 7e série, 1927

8. « Congrès des éditeurs », Promenades littéraires, 7e série, 1927


1. « Journaux et revues », Mercure de France, septembre 1892, p. 90

M. Brunetière commencerait-il, dans la Revue des Deux-Mondes, une série de Prosateurs hétéroclites ? Il vient, en effet, de découvrir Pierre Bayle, érudit facétieux et « précurseur de Voltaire » . Cette étude est moins amusante que telles pages du Dictionnaire de Bayle, mais tout de même elle est à lire : si certaines opinions de M. Brunetière sont contestables, sa méthode est parfaite et ses renseignements sont très sûrs.

R. G.


2. « Cosmopolitisme », Epilogues, Mercure de France, 1903, pp. 15-16

Novembre [1895].

3

Cosmopolitisme. — Vraiment, ces aveux, que voici, M. Brunetière les eût-il écrits, il y a cinq ans ? Le kangurou a pris l'éléphant sur son dos et a bondi plus haut peut-être et plus loin que l'éléphant n'eût voulu. Ses idées (celles de l'éminent critique) s'émancipent et donneront de l'inquiétude aux prudents, mais M. Brunetière a prouvé assez de bravoure et avoué assez de mépris pour dédaigner les prudents.

Donc il proclame l'unité littéraire universelle et raille, en passant, ceux qui ne pardonnent pas à Ibsen et à Tolstoï d'avoir écrit « hors de France ». Sa conclusion, qui n'est qu'un espoir, est vraiment d'un noble esprit : « ... Si le cosmopolitisme littéraire gagnait encore et qu'il réussît à éteindre ce que les différences de race ont allumé de haine de sang parmi les hommes, j'y verrais un gain pour la civilisation et pour l'humanité tout entière. » Malheureusement les littératures n'ont plus guère d'influence ; elles ne parviennent au peuple qu'à l'état de relavures, — ces bonnes relavures dont s'est si âprement réjoui Carlyle — et elles ont plus d'effet sur le ventre que sur le cerveau.

Paul Adam par J.-E. Blanche.


3. « Phrases sur Renan », Epilogues, 3e série, Mercure de France, 1905, pp. 217-220


4. « Le divorce », Dialogues des Amateurs sur les choses du temps, Mercure de France, 1907, pp. 65-75


5. « Renan et l'idée scientifique », Promenades littéraires, Mercure de France, 1904, pp.13-23

RENAN ET L'IDÉE SCIENTIFIQUE

M. Brunetière vient de publier dans un grand journal de province, l'Ouest-Éclair, fort répandu par toute la Bretagne, une suite d'articles très intéressants sur Renan. Mais intéressants bien moins par le jugement qu'ils portent sur Renan que par celui qu'ils nous inclinent à porter sur M. Brunetière. Comme je l'ai déjà expliqué plusieurs fois, contre l'opinion commune, la critique est peut-être le plus subjectif de tous les genres littéraires ; c'est une confession perpétuelle ; en croyant analyser les œuvres d'autrui, c'est soi-même que l'on dévoile et que l'on expose au public. Cette nécessité explique fort bien pourquoi la critique est en général si médiocre et pourquoi elle réussit si rarement à retenir notre attention, même quand elle traite des questions qui nous passionnent le plus. Pour être un bon critique, en effet, il faut avoir une forte personnalité; il faut s'imposer, et compter pour cela, non sur le choix des sujets, mais sur la valeur de son propre esprit. Le sujet importe peu en art, du moins il n'est jamais qu'une des parties de l'art ; le sujet n'importe pas davantage en critique : il n'est jamais qu'un prétexte. M. Brunetière aurait pu tenir, à propos du plus humble graphomane, la plus grande partie du discours qu'il a intitulé Autour de la statue. Cependant il y a deux divisions dans ce discours : la première représente l'éloge de la statue ; la seconde est sa démolition.

I

M. Brunetière loue Renan d'être un grand écrivain, ou plutôt, car son expression est très précise, « un rare écrivain ». La page où il explique cela demande à être citée pour la justesse des arguments et l'exactitude de l'analyse : « Si quelqu'un, en notre langue, nous a rendu la sensation de cette abondance facile, de cette suprême aisance, de cette élégance familière, et pourtant soutenue, de cette grâce enveloppante et souple, de ce charme insinuant et quelquefois pervers, de cette ironie transcendante qui furent les qualités, ou quelques-unes des qualités du style de Platon, c'est Renan, et je n'en sache pas un autre dont on le pourrait dire. Nul, comme Renan, n'a excellé à vêtir de métaphores poétiques, originales, inattendues et toujours d'une incomparable justesse, les idées les plus abstraites, les conclusions les plus techniques de la philosophie linguistique. Nul, comme lui, n'a connu ce pouvoir mystérieux des mots, dont on tire, en les associant, d'une manière unique, et qui ne semble jamais calculée ni voulue, préparée ni savante, non seulement des significations, mais des harmonies nouvelles. Nul, comme lui, n'a réussi, dans le contour simple et pur de sa phrase, à faire entrer tout un monde d'impressions et d'idées, surprises pour ainsi dire et charmées en même temps de se trouver rapprochées. Si l'on regarde aux éléments, il n'y a pas de style plus savant que celui de Renan, et j'entends par là que ses meilleures pages, l'helléniste, l'hébraïsant, le philologue, l'historien, le poète, l'artiste qu'il était a seul pu les écrire. Mais il n'y a pas cependant de style plus naturel... » Et, conclut M. Brunetière, quel que soit le sujet de ses écrits, « ce sont toujours la même aisance, la même grâce et la même souveraine clarté ». Si exacte et si conforme à l'opinion que soit cette appréciation, elle aurait déplu à Renan. A peine l'aurait-il tolérée comme une introduction, nécessitée par le mauvais goût du public, car il méprisait profondément la littérature et il s'est toujours défendu de toute prétention à l'art d'écrire. « Mes adversaires, dit-il dédaigneusement dans ses Souvenirs d'enfance et de jeunesse, pour me refuser d'autres qualités qui contrarient leur apologétique, m'accordent si libéralement du talent que je puis bien accepter un éloge qui, dans leur bouche, est une critique. Du moins n'ai-je jamais cherché à tirer parti de cette qualité inférieure, qui m'a plus nui comme savant qu'elle ne m'a servi par elle-même. Je n'y ai fait aucun fond. Jamais je n'ai compté sur mon prétendu talent pour vivre : je ne l'ai nullement fait valoir... J'ai toujours été le moins littéraire des hommes. » Et, un peu plus haut, dans la même partie de ce livre encore si agréable à lire : « La vanité de l'homme de lettres n'est pas mon fait. Je ne partage pas l'erreur des jugements littéraires de notre temps... Je n'eus quelque temps d'estime pour la littérature que pour complaire à M. Sainte-Beuve, qui avait sur moi beaucoup d'influence. Depuis qu'il est mort, je n'y tiens plus. Je vois très bien que le talent n'a de valeur que parce que le monde est enfantin. Si le public avait la tête assez forte, il se contenterait de la vérité. » Ainsi donc la tactique des adversaires de Renan, et des plus nobles, est toujours la même : pour étaler leur impartialité, ils admirent d'abord l'écrivain, quittes à ravaler ensuite, parmi les non-valeurs, l'historien et le philosophe.

Un tel partage, je l'avoue, m'est difficile. Je n'aime guère le style des écrivains dont je déteste la pensée. Le style est l'homme même. Une pensée fausse n'est jamais bien écrite, ni mal écrite une pensée juste. Il y a là quelque chose d'inséparable. J'irais volontiers jusqu'à négliger les vers qui ne contiennent pas quelque idée ou un sentiment vrai : c'est pourquoi il y a si peu de pages dans Victor Hugo qui me satisfassent pleinement. L'absurdité du thème d'Eviradnus m'empêche de me plaire à la musique de ce petit mélodrame. Le plus contestable, pour le fond, des ouvrages de Renan, la Vie de Jésus, est précisément celui qui est le moins bien écrit. L'incertitude de l'idée a fait vaciller le style ; cela tremblote comme une lampe d'église, une nuit que le vent souffle par un vitrail brisé. Dans beaucoup d'autres écrits de Renan, la souplesse solide de son écriture s'enroule merveilleusement à la solidité flexible de sa pensée. M. Brunetière parle de la « souveraine clarté » de sa langue, mais comment peut-il admirer une transparence, alors fâcheuse, qui n'a d'autre résultat que de faire mieux voir le trouble ou le néant du fond. Mais comment même peut-il se faire que l'eau soit pure et transparente quand le fond est bourbeux ? Les ondes ne sont claires que si elles s'appuient sur la fermeté d'un fond de roche. C'est une croyance des professeurs de littérature qu'il y a, en art, le fond et la forme, le vase et le contenu, et que, quand on possède le vase, on y peut mettre la liqueur que l'on veut. Contenu et contenant sont inséparables; ils naissent ensemble et grandissent ensemble à peu près comme les veines et les artères et le sang qu'elles renferment. Le sang, hors de ses vaisseaux, et les vaisseaux vidés de leur sang, sont également des choses mortes. Il faut qu'un physiologiste connaisse l'anatomie ; mais rien ne serait plus dangereux pour lui, et pour ses clients, s'il était médecin, que de raisonner en anatomiste. L'analyse littéraire est une étude préalable ; il faut, quand on travaille sur le vif, réunir les éléments qu'elle dissociait, et se convaincre que bien penser et bien écrire, c'est un seul et même mouvement qui met en marche deux activités solidaires.

II

Je suis donc d'accord avec M. Brunetière quand il nous donne ses motifs d'aimer le style de Renan ; mais c'est précisément parce que ces mêmes motifs, ou des motifs analogues, m'inclinent très souvent à aimer sa pensée. Cette pensée, assurément, n'est pas dogmatique ; et c'est encore ce qui me charme, et c'est aussi ce qui désole M. Brunetière. « Il n'arrivait à l'affirmation, nous dit-il, quand il y arrivait, qu'à travers un dédale infiniment compliqué de négations, de contradictions, d'hésitations et de doutes. » Ce n'est pas ainsi, selon le sévère critique, que l'on doit procéder. Il y a une vérité : on la cherche, on la trouve, on l'affirme. Souvent même, et le plus souvent, on n'a pas besoin de la chercher, on la reçoit toute faite, en cadeau, d'une main amie, et c'est bien plus commode ; cela permet de passer à la contempler les précieuses années qu'on eût perdues à sa recherche. M. Brunetière démontre aisément que si Renan chercha avec soin toutes sortes de vérités particulières, il ne se mit jamais en peine de la grande, de la seule Vérité. Et s'il ne l'a pas cherchée, c'est qu'il ne l'aimait pas. Aimer la Vérité, nous dit M. Brunetière, c'est l'aimer comme Pascal, comme Bossuet, comme Pasteur et comme Taine. Toute autre méthode est mauvaise ; mais la plus mauvaise est de l'aimer comme Renan c'est-à-dire en amateur, et non en passionné. Cela, c'est tout simplement reprocher à un homme son tempérament, c'est lui faire un crime d'être calme, par exemple, quand tant d'autres sont emportés et fiévreux. La fièvre de Pascal n'est pas d'un heureux exemple. A quelle hauteur vertigineuse ne serait pas monté Pascal, si sa nervosité intellectuelle s'était tempérée d'un peu de scepticisme à la Renan ? L'étoffe, chez Renan, était bien inférieure à l'étoffe pascalienne ; mais il en a tiré un bien meilleur parti ; l'un, dans sa fièvre, déchirant son génie en lambeaux, l'autre, dans son calme ironique, y trouvant la matière et le dessin des plus nobles tapisseries. Renan aima le vrai à sa manière, autant que Pascal ; car enfin, avouer que l'on ne peut affirmer est une attitude plus loyale que d'affirmer sans preuves. Or, quand on affirme, quand on proclame la Vérité, c'est toujours sans preuves. La Vérité telle que la comprend M. Brunetière, c'est la Foi. La Foi ne se démontre pas ; la raison y est impuissante. C'est même parce que ses maîtres voulaient démontrer la Foi par la Raison que Renan se sépara d'eux, acte de logique, et non révolte.

Finalement, ce qui blesse M. Brunetière, c'est que Renan avait ou se vantait d'avoir l'esprit scientifique, qu'il n'admettait ni le surnaturel ni les miracles, qu'il considérait la Bible comme une œuvre historique. Ses arguments sont ceux d'un théologien. Ils ont leur intérêt, quand on est théologien, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Je ne crois pas qu'au strict point de vue philosophique il soit possible d'en tenir compte. Les domaines sont séparés, quoique M. Brunetière prétende que la philosophie a pour principal fondement la croyance au surnaturel, et que l'on ne peut négliger cet élément que par un véritable « tour de passe-passe ». On voit à quelle distance nous sommes du monde moderne et de l'esprit scientifique. M. Brunetière est un contemporain de Bossuet qui serait le disciple de saint Thomas d'Aquin. Il apporte, il est vrai, dans son argumentation, une méthode très sérieuse, sinon très solide, et il cite ses maîtres. Il croit aux miracles sur la parole de Dante, dont « l'autorité n'a rien qui le doive céder à celle d'Ernest Renan », et au surnaturel, en général, sur la caution de M. Renouvier, qui a jugé ainsi Renan : « Jamais Renan ne connut assez les limites et. la méthode des sciences expérimentales pour comprendre qu'elles ne vont au fond de rien et qu'il leur est interdit de nier, aussi bien que d'appuyer la solution d'aucun problème philosophique d'ordre général, ou de donner ou de refuser un fondement aux théories de la morale et du droit pas plus qu'aux croyances surnaturelles. » Ce M. Renouvier, qui vient de mourir, était un homme des plus estimables, mais non une autorité. Il passait pour libre-penseur, mais il eût pu fort bien professer la philosophie au séminaire de Saint-Sulpice ; sa doctrine n'y eût choqué personne.

Mais il faut finir, car je serais tenté, peut-être, de répondre à cette question de M. Brunetière : « Qu'est-ce que les sciences expérimentales, incapables qu'elles sont de nous renseigner sur la constitution de l'univers, peuvent bien nous apprendre de son origine ? et de la nôtre ? et de nos destinées ? » — Et cela serait indiscret.

Il reste que, voulant expliquer et contredire Renan, M. Brunetière s'est une fois de plus confessé publiquement. C'est à quoi, comme on le disait plus haut, aboutit généralement la critique.

1903.


6. « M. Brunetière » , Antée, n° 8, janvier 1907 & Promenades littéraires, 3e série, Mercure de France, 1909, pp. 784-799 & pp. 19-33

M. BRUNETIÈRE.

Je ne crois pas beaucoup à la distinction hiérarchique convenue, en littérature, entre les critiques et les créateurs ; il m'est difficile d'admettre que Taine ait été moins créateur que son contemporain dans le temps, Octave Feuillet, ou, si l'on veut s'élever aux sommets, qu'Aristote ait été moins créateur que Shakespeare, son contemporain dans l'espace. Qu'on écrive un roman ou qu'on écrive une histoire de la littérature française, il s'agit, pour construire une œuvre, d'établir entre des faits connus des rapports nouveaux, ou qui le paraissent. Il s'agit de nous présenter des motifs nouveaux de comprendre ou des motifs nouveaux de sentir : dans les deux cas, il y a création. Si donc l'on tient, cependant, à la distinction convenue, il faudrait l'établir non pas sur la qualité de l'opérateur, mais sur la matière de leurs opérations. Ici pour être plus clair, changeons de termes et mettons en parallèle un romancier et un critique. L'un prétend toucher d'une manière nouvelle notre sensibilité ; l'autre prétend intéresser d'une manière nouvelle notre intelligence. Les deux ouvriers exercent des métiers différents, mais ils ont ce trait commun d'être condamnés à être originaux, chacun dans leur métier, ou à n'être rien du tout. Ils devront, l'un et l'autre, être créateurs de valeurs, l'un dans l'ordre de la sensibilité, l'autre dans l'ordre de l'intelligence. En résumé, il faut autant de génie pour être un grand critique que pour être un grand romancier.

Je ne veux pas dire que M. Brunetière ait eu du génie ; mais on peut encore, avec un talent bien aménagé, faire figure dans le monde. M. Brunetière a fait figure, et bonne figure. Très peu de ses contemporains littéraires lui furent supérieurs et je ne vois pas, pour continuer le raisonnement initial, en quoi, par exemple, il aurait été inférieur à M. Paul Bourget, son camarade des temps difficiles. Il n'a pas écrit de romans, mais que deviendront nos romans ? Est-il même, aujourd'hui, un romancier qui croie en lui-même et songe à se présenter avec gloire devant les générations futures ? Y en avait-il hier ? Est-ce Alphonse Daudet, pour qui Brunetière fut indulgent, ou Emile Zola, pour qui il fut cruel ? Quelques contes de Villiers de l'Isle-Adam, de Maupassant, voilà peut-être tout ce que la postérité connaîtra de l'imagination française de cette période, qui fut la période naturaliste. On ira chercher des résumés, des jugements ou des traces du reste dans des livres maintenant impopulaires et qui acquéreront peu à peu la valeur des cimetières mérovingiens ou des tombes égyptiennes. Quelques livres de M. Brunetière seront parmi ces livres. Les romanciers ne sont-ils pas déjà de cet avis, qui implorent que l'on parle de leurs œuvres ? Ils se rendent compte, ingénument, que si on n'en parlait pas, ils n'existeraient pas. Là est peut-être le triomphe du critique ; il est fossoyeur, du moins, et il survit, le temps de faire sa besogne, au mort qu'il est chargé d'enterrer. Quelquefois, il est marbrier et il jointoie un petit monument au dessus de la terre fraîche. Voilà ce qui demeure : le buste survit à la cité, parfois, à la cité des livres.

La besogne du critique est de coordination et plus encore, d'architecture. Il ne taille pas les pierres, mais il leur donne la place qui convient dans l'ensemble du monument. M. Brunetière, à un moment de sa carrière, avait compris cela assez bien. Il dessina même des plans tout nouveaux, selon lesquels l'architecture littéraire aurait vraiment dû prendre une face toute nouvelle. Ce fut sa grande pensée : seulement, il omit de la réaliser. C'était vers 1890. Les idées de Darwin étaient enfin entrées dans la circulation générale ; Taine, d'autre part, avait lancé ses trois mots fameux, la race, le milieu, le moment : M. Brunetière, unissant hardiment le darwinisme au tainisme, traça un plan merveilleux de l'évolution des genres littéraires, suite, ou plutôt contrepartie de l'évolution des espèces naturelles. Il prétendait nous instruire d'abord sur les genres littéraires, considérés comme des sortes d'organismes vivants et soumis au transformisme. Ensuite, il nous allait montrer comment ces singuliers animaux subissent les actions de la concurrence vitale et de la sélection naturelle ; il était question aussi de l'hérédité et de l'individualité, de l'homogène et de l'hétérogène, et de plusieurs autres mystères. Un instant, M. Brunetière, qui cachait alors ses idées secrètes, passa pour un révolutionnaire ardent. Quel était cet homme qui venait bouleverser les vieilles conditions de la critique et qui remplaçait froidement Boileau par Darwin et Sainte-Beuve par Hœckel ? C'était un homme qui se trompait et qui ne tarda pas du reste à s'en apercevoir. Le programme de l'évolution des genres ne fut jamais exécuté. Tout ce que nous en connûmes tient dans une innocente étude sur l'Évolution de la poésie lyrique au dix-neuvième siècle, travail honorable que tout professeur consciencieux eût pu mener à bonne fin ; car rien n'est moins mystérieux vraiment que les transformations de la poésie française depuis Népomucène Lemercier jusqu'à M. Francis Vielé-Griffin. Darwin pour cette étude n'offre, semble-t-il, qu'un secours médiocre.

Pourquoi donc M. Brunetière avait-il essayé de greffer sa méthode sur le darwinisme ? C'est que Darwin, comme tout autre historien de la vie animale, d'ailleurs, fait abstraction des individus. L'Histoire naturelle ne connaît que les espèces et elle admet, en principe, que tous les individus normaux d'une même espèce, sont identiques, à un moment donné, les uns aux autres. La méthode scientifique plaisait à M. Brunetière parce qu'elle lui permettait de combattre l'individualisme, qui lui a toujours paru à la fois un danger social et un danger intellectuel. Il faut bien, pourtant, quand il s'agit d'œuvres personnelles, mentionner les personnes ; mais cela ne viendra qu'en second lieu. L'histoire littéraire ne sera plus une succession de portraits, de vies individuelles ; c'est de la poésie qu'il sera question ou de l'histoire, et non des poëtes ou des historiens ; on étudiera les œuvres, sans donner aux auteurs une trop grande importance, et l'on montrera comment ces œuvres s'engendrent les unes les autres par nécessité naturelle ; comment de l'espèce poésie naissent les variétés sonnet et madrigal ; comment sous l'influence du milieu, la variété lyrisme se transforme, sans perdre ses caractères essentiels, en éloquence, et beaucoup d'autres métamorphoses.

Ce fut la première folie de M. Brunetière. Elle fut courte, d'ailleurs, et bientôt suivie d'une réaction violente de raison. M. Brunetière qui, à force de lourdeur, paraissait doué de beaucoup de pondération, était au contraire un passionné. Quand il se voyait contraint de se déjuger, il s'exécutait sans modération. Dur pour les autres, il se montrait dur pour lui-même ; il avoua son erreur en ces termes : « La Descendance de l'homme de Darwin ou l'Histoire naturelle de la création du professeur Hœckel ne sont, de leur vrai nom, que des romans scientifiques. » II reconnaissait d'autre part qu'il était impossible de faire de la critique « une science analogue à l'histoire naturelle. » Cette dernière déclaration aurait suffi : M. Brunetière n'était pas un savant, mais Darwin ne fut pas un romancier. Il y aurait tout de même dans cette aventure un point à retenir. On y verrait aussi bien, et cela donnerait au moins raison à Taine, et l'influence du milieu et l'influence du moment. M. Brunetière subit Darwin parce que Darwin était puissamment à la mode dans le milieu sorbonique où il avait passé sa jeunesse. Et il ne fut pas le seul bon esprit qui subit mal à propos la méthode darwinienne et qui essaya, avec plus ou moins de bonheur, de la transplanter en des terrains nouveaux. Vers le même moment Arsène Darmesteter écrivait sa Vie des Mots, livre délicieux et absurde, où le détail est exact et neuf, livre dont la conception était si folle qu'elle faillit faire dérailler toute la philologie : il fallut le bon sens de M. Michel Bréal pour nous apprendre combien il est insensé de vouloir étudier les langues en faisant abstraction de la psychologie humaine et de la volonté individuelle. Je crois que M. Bréal contribua à remettre M. Brunetière dans le droit chemin.

De ce contact douloureux avec la science, M. Brunetière garda un mauvais souvenir. N'ayant pu plier la science à son usage et à un usage déterminé, il crut qu'elle n'était bonne à rien. Comme elle ne lui avait pas répondu quand il l'interrogeait sur l'évolution des genres littéraires, il crut qu'elle ne pouvait lui faire aucune réponse utile et, avec une précipitation fougueuse, il en proclama la faillite. Ce fut la seconde folie de M. Brunetière et celle qui acheva sa réputation d'homme entre tous raisonnable. C'était déjà un grand mérite d'avoir répudié Darwin ; en répudiant toute la science, il devint le maître de ceux qui avaient peur de la science et n'osaient avouer leur peur. Mais répudiait-il toute la science ? Il y eut là un singulier malentendu. M. Brunetière, à un certain moment, fut sans doute de ceux qui crurent que la science allait, non pas rénover, mais raviver la métaphysique, la religion, la morale, qu'elle allait reprendre à son compte le rôle de consolatrice que joue encore pour beaucoup de bonnes âmes, le christianisme. Au moins, la science, pensaient-ils, allait enfin leur donner, en ce sens ou dans l'autre, des certitudes. La science, cela est trop certain, n'apportait que des négations, et encore, ces négations, elle les posait avec un grand air d'indifférence. Alors il y eut une profonde désillusion, et ceux qui souffraient de leurs doutes se résignèrent à se tourner encore une fois vers les vieilles affirmations traditionnelles. La faillite de la science que proclamait M. Brunetière, c'était une faillite métaphysique.

Quand on a besoin de métaphysique, on a bientôt besoin de religion. La métaphysique est la première marche de l'escalier mystique. M. Brunetière le gravit jusqu'en haut et là il put se réjouir d'avoir accompli dans l'ordre spirituel ce qu'il avait toujours travaillé à accomplir dans l'ordre littéraire : il avait renoué la tradition. Il le croyait. Il croyait collaborer à une œuvre de stabilité. Restaurer l'esprit d'autorité dans tous les domaines ; faire comprendre aux hommes qu'il y a au dessus d'eux une volonté aux ordres de laquelle ils doivent soumettre leurs instincts, leur sensibilité et peut-être même leur raison ; enseigner que toute activité doit être régie et limitée par des règles, qu'il y en a en politique comme en grammaire, dans la morale comme dans l'art ; accepter cette autorité universelle pour soi-même et, l'ayant acceptée, l'imposer aux autres : M. Brunetière trouvait tout cela dans le catholicisme, il fut catholique. A vrai dire, et malgré son accès de folie transformiste, il l'avait toujours été. On ne se convertit pas : on redevient ce que l'on était, au début de la vie, et ce que l'on est resté secrètement, malgré toutes les apparences. Le goût de M. Brunetière pour le dix-septième siècle classique était une indication : on ne converse pas quotidiennement avec Bossuet quand on n'a pas un certain goût, avéré ou latent, pour la vérité religieuse. Une autre indication aurait pu être fournie sur les tendances secrètes de M. Brunetière, par l'aversion qu'il manifesta presque toujours pour la littérature moderne. Même quand elle est médiocre, la littérature contemporaine a cet intérêt très grand d'être vivante, de refléter les tendances du moment, c'est-à-dire de ce qu'il y a de plus important pour nous, qui ne disposons que d'un moment de vie. Mais M. Brunetière a toujours aimé à vivre dans l'éternité et devant lui tous les moments étaient égaux, ceux d'autrefois et ceux d'aujourd'hui, en ce sens qu'il ne comprenait que la vie de l'esprit, qu'il ne s'intéressait pas aux hommes, mais seulement aux œuvres.

Il y a cependant parmi ses ouvrages deux volumes intitulés Essais et Nouveaux essais sur la littérature contemporaine. Il ne faudrait pas aller chercher sous ces titres, un tableau, même fragmentaire, du mouvement littéraire tel que nous le sentons, tel que nous le vivons : la vraie littérature contemporaine avec ses fièvres, ses naïvetés, ses audaces, son incohérence, si l'on veut, mais curieuse et passionnante même, M. Brunetière l'a ignorée. Son goût l'a toujours porté vers l'œuvre raisonnable, convenable, vers les sages imitations des œuvres sages. Si par hasard il ose s'arrêter devant un livre qui semble contrarier la tradition, ses préoccupations de moralité l'empêchent d'y trouver du plaisir. Comme il a, tout de même, un certain sens de l'art, il admire ; mais la morale l'emporte, et il condamne. La timidité de Sainte-Beuve était souvent hypocrite ; la sienne est foncière et d'ailleurs logique, en parfaite harmonie avec ses principes. Dans un de ses livres pourtant, il serra de près la réalité littéraire contemporaine, dans celui qui s'intitule Le Roman naturaliste. Comme j'en goûtai, en ce temps-là, l'âpre injustice ! Je me souviendrai toujours d'un chapitre sur M. Huysmans où il démontre qu'A Rebours est construit comme un vaudeville ; c'est la seule fois que M. Brunetière fit de la critique amusante. Mais comme cela venait mal à propos ! Il malmenait le roman d'un naturaliste, sans comprendre que ce n'était pas un roman naturaliste ; voulant frapper un groupe littéraire, il en blessait un autre ; croyant navrer le naturalisme, il raillait le symbolisme naissant, d'où devaient sortir bientôt plusieurs esprits assez disposés à goûter, dans ce qu'ils ont d'heureux, le classicisme et la tradition française. Tel qu'il est, avec ses exagérations, ses méprises ou sa mauvaise humeur, ce livre reste peut-être le meilleur travail de M. Brunetière, celui, du moins, qui témoigne qu'il ne vécut pas toujours exclusivement dans le passé et que les nouveautés ne le prenaient pas toujours au dépourvu.

J'admire d'ailleurs sa persévérance à retravailler les vieux sujets, ce qui n'est pas, quand on détient une bonne méthode d'investigation, une besogne inutile. La méthode de M. Brunetière est la méthode historique, et c'est là seulement que ses notions sur l'évolution trouvèrent un emploi logique. Il s'attache, en effet, dans ses études à établir la généalogie des idées et des formes littéraires ; il confronte les textes et, tout en se gardant bien de prendre telles intentions pour des œuvres, il découvre volontiers des origines inattendues et même lointaines à des conceptions que l'on aurait crues plus neuves. Ensuite, se pose devant son esprit la question de hiérarchie qui a pour lui une importance capitale ; il déclasse, il reclasse avec un soin qui n'est pas sans nous faire sourire : il aurait été capable de nous dresser le palmarès de la littérature française, depuis le premier prix jusqu'au cinq centième accessit. On suppose même qu'il avait lu tous les ouvrages dont il cite les titres : plus de la moitié de sa vie dut se passer en lectures sérieuses, en lectures voulues, de celles que l'on fait en prenant des notes, en revenant en arrière pour conférer deux idées données par des passages différents. Une de ces études hiérarchiques, qui n'a pas trente pages, contient les titres de cinquante-cinq pièces de théâtre : c'est accablant. L'érudition de M. Brunetière n'est pas bénigne. Dirai-je que c'est du pédantisme ? Non, c'est plutôt de la précision excessive. Il veut à chaque pas donner ses preuves : c'est aussi de la conscience. Munis de cet appareil, si ses jugements ne satisfont pas les justiciables, ils satisfont le juge : M. Brunetière épuise la matérialité des questions. Pour les reprendre après lui, il faudrait s'abstraire de toute érudition ; ce serait une méthode très différente, plus difficile aussi à manier, mais ce serait encore une méthode, et celle que mon goût préférerait. Prenons cette œuvre, jeune ou vieille, et voyons si elle agrée à notre intelligence, si elle nous fait réfléchir, si elle émeut notre sensibilité, si elle évoque en nous des désirs ou des songes, si elle flatte notre idéal de beauté, enfin ? Mais M. Brunetière, à ce programme, haussait les épaules : il méprisait la critique personnelle, la critique « des goûts et des couleurs ». Comme il démontrait bien que si le rouge est une belle couleur, le violet est nécessairement une couleur détestable !

Cet homme était un rationaliste invétéré ; il ne croyait qu'à la raison, il ramenait tout à la raison, oubliant que le domaine de la raison est, en somme, un domaine très limité et que la logique qui nous guide n'est presque jamais, selon l'expression de M. Ribot, que la logique des sentiments. Lui-même y céda parfois, et surtout à la fin de sa carrière, quand la religion devint son inspiratrice, quand il s'inclina devant des dogmes dont la raison est précisément absente, quand il demanda à ses croyances des motifs d'aversion ou de dilection. Mais on doit reconnaître que, même à ce moment, quand il revenait vers des sujets tout littéraires, M. Brunetière ne capitulait plus avec ses principes rationalistes. Son dernier livre, son Balzac, en est la preuve. Le catholique militant, le prédicant de Science et Religion, n'y transparaît pas, et c'est au point qu'on a pu se demander si la conversion de M. Brunetière n'avait pas été une manœuvre de politique, plutôt qu'une manœuvre de conscience.

Son œuvre, je la considère comme un répertoire de faits, d'idées et de jugements littéraires, et un répertoire valable. Mais que l'on n'y cherche pas autre chose. M. Brunetière n'a jamais eu que des idées objectives, celles qui sont le produit d'une volonté ou d'une méthode, celles que l'on acquiert. Ces idées sont raisonnables, elles sont justes, elles ne sont pas originales. C'est qu'il a manqué à. M. Brunetière le ferment de l'idéalisme. Je lis dans son Balzac : « Non seulement il n'est pas vrai, en fait, que chaque chose apparaisse à chacun de nous sous un aspect différent, que déterminerait son « idiosyncrasie » ; et il n'y a là qu'une prodigieuse et impertinente illusion de l'orgueil ; mais la même réalité s'impose à toutes les intelligences ; et, de chaque chose, il n'y a qu'une vision qui soit exacte et « conforme à l'objet, » de même que de chaque fait, il n'y a qu'une formule qui soit scientifique. » Cette citation, mieux qu'un long discours montre les limites de l'esprit de M. Brunetière et sa position. Avec ce principe, on arrive à nier la légitimité de toute activité individuelle. L'art tout entier disparaît. L'originalité devient une faute contre le goût. Chaque objet, chaque fait ne comportent qu'une seule représentation valable, qui alors est vraie et les idées se partagent nécessairement en deux classes : il y a le vrai, il y a le non-vrai.

C'est dans cette philosophie enfantine que M. Brunetière a vécu empêtré. Qui donc a dit qu'il continuait Taine ? Restons fermement attachés au principe, d'ailleurs inattaquable, de l'idéalisme subjectif : « Le monde est ma représentation. » C'est le seul principe fécond, le seul qui permette, qui ordonne, le libre développement des intelligences et des sensibilités.

REMY DE GOURMONT.

Les Annales politiques et littéraires, 9 février 1902.


7. « Copeaux », Promenades littéraires, 7e série, Mercure de France, 1927, pp. 105-107

M. Brunetière est un esprit d'une logique un peu brutale. Il se rend trop facilement prisonnier d'une idée, quand cette idée lui paraît juste; il oublie tout ce qu'elle contient de contradictoire, prend un seul de ses éléments et s'en sert comme d'une massue pour écraser le reste. Après avoir reconnu qu'il n'y a pas de races simples et pures, il ajoute aussitôt : « Mais quelle qu'en soit la première origine, il y a des formations historiques définies, il y a des groupements qui se sont faits dans des conditions particulières et déterminées, dont le temps, les circonstances, l'intérêt, le choix des parties, les succès remportés ou les malheurs subis en commun, l'hérédité de joies ou de tristesses ont cimenté l'union. C'est ce que l'on appelle les génies nationaux. Le nôtre, à nous Français, est d'être et de demeurer Latins, Latins de cœur, Latins de mœurs, Latins de goût, Latins d'esprit, Latins de langue et Latins de pensée. Nous ne pouvons pas ne pas l'être et de même qu'il y a dans le corps humain des dispositions générales, des diathèses, comme on les appelle, avec lesquelles il faut bien vivre, parce qu'on ne s'en débarrasserait qu'avec la vie, et que le remède qui emporterait le mal emporterait encore plus sûrement le malade, ainsi. Messieurs, je ne sais trop si non pourrions cesser d'être Latins, mais ce dont je ne puis guère douter, c'est que nous cesserions en même temps d'être des Français et la France. »

Il paraît décidément que nous vivons dans une période où l'affirmation tient lieu de raisons et de preuves. Sans cela, oserait-on venir à nous autres, hommes du Nord, nous tenir un tel langage ? M. Brunetière est du Midi ; qu'il parle pour le Midi et non pour la France. Mais le nom même de France, et celui de Normandie, de Flandre et de Bourgogne protestent contre cette litanie méridionale. L'originalité des Français vient précisément de cela, sans doute, qu'ils ne sont vraiment latins que de langage ; et l'originalité de notre littérature, de cela aussi qu'elle exprime en une langue latine des idées qui ne sont pas latines. Latines, les chansons de geste ! Latin, le prodigieux théâtre du XVe siècle ! Latin, Rabelais ! Latin, Saint-Simon ! Latins, Chateaubriand et Victor Hugo ! M. Brunetière se moque. Nous sommes des Barbares latinisés ; nous sommes une contradiction. D'où viendrait donc la dissemblance entre les littératures provençale et italienne et la littérature française primitive et romantique, la seule à invoquer comme témoin, si les Français étaient Latins de mœurs et de pensée ? Singulier patriotisme qui consiste à se dénationaliser, à se renier, à s'effacer sous un nom générique ! Pourquoi dire à des Bretons ou à des Normands : Soyez Latins ? Et pourquoi Latins ? Cela passe l'entendement. Il n'y a qu'une vérité à dire aux hommes, quels qu'ils soient : Soyez vous-mêmes !

Mais que c'est inutile ! On voit un poète fou courir les champs et les bois, crier aux chênes : Soyez des chênes ! et aux genêts : Soyez des genêts ! Même s'il se trompe d'adresse, les genêts ne se fâcheront pas, ni les chênes. Avec les hommes, il faut une certaine prudence.


8. « Nouvelle suite d'Epilogues (1895-1904). Congrès des éditeurs », Promenades littéraires, 7e série, Mercure de France, 1927, p. 177

[Juillet 1896]

Congrès des Editeurs. — Cela se termina par une délicate allusion aux vignettes « malpropres » qui timbrent, par les soins des auteurs, les éditions commerciales du Mercure. « Un vrai bibliophile n'aime pas à voir sur ses livres d'autre timbre ou d'autre ex-libris que le sien (Applaudissements et rires). » Les « vrais éditeurs » n'aiment pas beaucoup cela non plus : voilà des applaudissements qui le prouvent. Si fort cogna ses épaules le pauvre M. Lemerre qu'il aura toutes les peines à manier cet été la lucrative bêche de son jardin de navets. Quant aux paroles sus-dites, elles sont de M. Brunetière qui s'est bien maladroitement solidarisé avec le champagne, la routine et l'entêtement des éditeurs.