Francis Jammes (1868-1938) |
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Voici un poète bucolique. Il y a Virgile, et peut-être Racan, et un peu Segrais. Nulle sorte de poète n'est plus rare : il faut vivre à l'écart dans les vraies maisons de jadis, à la lisière des bois gardés par les seules ronces, au milieu des ormes noirs, des chênes ridés et des hêtres à la peau douce comme celle d'une amie très aimée ; l'herbe n'est pas un gazon vain tondu pour simuler le velours des sofas : on en fait du foin, que les bœufs mangent avec joie en cognant contre la crèche l'anneau qui attache leur licou ; et les plantes ont une vertu et un nom : Dans les bois vous trouverez la pulmonaire Cela fait partie d'un « mois de mars » raconté par Francis Jammes (pour l'Almanach des poètes de l'an passé), petit poème qui parut tel qu'une violette (ou une améthyste) trouvée le long d'une haie, parmi les premiers sourires de l'année. Tout entier, il est admirable d'art et de grâce et d'une simplicité virgilienne. C'est le premier fragment connu de ces « Géorgiques Françaises » où de bonnes volontés s'essayèrent jadis, en vain. Septima post decimam felix et ponere vitem C'est avec la même sécurité, la même maîtrise que M. Jammes nous dit les travaux du mois de mars : ................................................................. Il n'y a sans doute pas aujourd'hui en France un autre poète capable d'évoquer un tableau aussi clair et aussi vrai avec des mots aussi simples, avec une phrase qui semble celle d'une causerie distraite et qui pourtant, comme par hasard, forme des vers charmants, purs et définitifs. Cependant le poète suit bien sagement son calendrier et, comme Virgile oublie un instant les soins que l'on donne aux abeilles pour nous conter l'aventure d'Aristée, M. Francis Jammes, arrivé à la fête des Rameaux, nous dit en quelques vers une histoire de Jésus belle et tendre ainsi que les vieilles gravures que l'on clouait dans les alcôves. Jésus pleurait dans le jardin des oliviers... Quand nous aurons (et peut-être l'aurons-nous) un calendrier complet écrit dans ce ton de simplicité pathétique, il y aura d'ajouté aux tomes épars qui sont la poésie française un livre inoubliable. M. Francis Jammes offrit ses premiers vers au public en 1894. Il devait avoir vingt-cinq ans et sa vie avait été ce qu'elle est restée, solitaire au fond des provinces, vers les Pyrénées, mais non dans la montagne : Les villages brillent au soleil dans les plaines, Les femmes des paysans « ont la peau en terre brune », mais les matins sont bleus et les soirées sont bleues, avec des champs de paille qui sentent la menthe, Voilà, tout déchiqueté, vu par bribes, le paysage où évoluèrent les émotions de ce poète dont la solitude a exaspéré et parfois troublé l'originalité. Soucieux d'abord de dire son impression du moment, il se répète volontiers, variant par de faibles nuances les détails de la vie qu'il aime. Mais que de visions émues, que de jolies imaginations, et comme les mots viennent doucement écrire des pages dont la fraîcheur fait envie ! Ainsi le tableau de chaste volupté : Tu serais nue sur la bruyère humide et rose... et cet autre, d'un sentiment plus intime : La maison serait pleine de roses et de guêpes... et la complainte d'amour et de pitié qui commence ainsi : J'aime l'âne si doux marchant le long des houx. et (malgré une strophe mauvaise) la discrète élégie que résument ces quatre vers d'une musique si tiède et si lasse : Le soleil pur, le nom doux du petit village, Après encore un an ou deux d'une vie sans doute toujours pareille, le poète a pris une conscience plus décisive de lui-même ; son émotion devient parfois presque plaintive en même temps que la sensualité de l'homme s'exalte, s'avoue avec moins de pudeur, mais toujours sœur d'un sentiment et alors toujours pure malgré sa franchise et la nudité de ses gestes. Ce triple aspect humain, orgueil, émotion, sensualité, le poème en dialogue, appelé Un Jour, le développe, en couleurs vives et douces : quatre scènes où la poésie vole au-dessus d'une vie monotone et presque triste, quatre images très simples, et même, si l'on veut, naïves, mais d'une naïveté qui se connaît et qui connaît sa beauté. Plus que d'ambitieuses paraphrases c'est bien là la journée (ou la vie) d'un poète, qui perçoit le monde extérieur d'abord comme une sensation brute (ainsi que tout autre homme), puis en dégage aussitôt, en son esprit prompt aux généralisations, la signification symbolique ou absolue. Et tout ce poème est plein de vers admirables et graves, des vers d'un vrai poète dont le génie encore en croissance éclate, tel des rayons de soleil à travers une haie d'acacias : C'est la mère douce aux cheveux gris dont tu es né. Ne semble-t-il pas que la gaucherie ou le dédaigneux laisser-aller de ce dernier vers ajoute à la pensée sérieuse comme un sourire ? Il y a beaucoup de ces sourires dans la poésie de M. Francis Jammes. Je ne trouve pas qu'il y en ait trop ; j'aime le sourire.Voilà donc un poète. Il est d'une sincérité presque déconcertante ; mais non par naïveté, plutôt par orgueil. Il sait que vus par lui les paysages où il a vécu tressaillent sous son regard et que les chênes tout secoués parlent et que les rochers resplendissent comme des topazes. Alors il dit toute cette vie surnaturelle et toute l'autre, celle des heures où il ferme les yeux : et la nature et le rêve s'enlacent si discrètement, dans une ombre si bleue et avec des gestes si harmoniques, que les deux natures ne font qu'une seule ligne, une seule grâce : Ils ont une ligne douce comme une ligne. Il est grand temps, pour notre bon renom, de donner de la gloire à ce poète et, pour notre plaisir, de respirer souvent cette poésie, qu'il a appelée lui-même une poésie de roses blanches. (« Francis Jammes », Le IIe Livre des Masques , Mercure de France, 1898).
Corinna ou lettre d'une ancienne jeune fille A consulter : |