L'Ymagier (oct. 1894 - déc.1896) |
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Notice 1° Edition originale : Apparition annoncée dans le Mercure de France d'octobre 1894, p. 188.
[...] Comme Remy de Gourmont, Alfred Jarry aimait l'art populaire, les images d'Épinal, de Troyes ou d'Orléans, les vieux bois de piété ou de légende, la Bibliothèque bleue, les chansons transmises et déformées par les siècles, tout ce pittoresque naïf et inconscient [...]. Tous deux aimaient Gauguin et les peintres de Pont-Aven : Filiger, Armand Seguin, Emile Bernard. Tous deux gravaient sur bois. Trop pauvre pour acheter du buis, Jarry taillait des fonds de barrique : quant à Remy de Gourmont, il comparait le bois de fil et le bois debout, il expérimentait le linoléum et le savon de Marseille ! Avec des moyens de fortune, les deux amis fondèrent une revue : ce fut l'Ymagier, dont la première livraison s'ouvre par une miniature mauve de Filiger et par une préface-programme de Gourmont, en style mallarméen : [pages 5-9] L'équilibre est cependant difficile à tenir dans une revue où le moderne rejoint l'ancien. Il faut éviter les risques d'un conflit entre les « passéistes » résolus qui veulent ignorer leur temps et les « modernistes » enthousiastes qui nient ce qui les a précédés, le plus souvent parce qu'ils l'ignorent. Gourmont et Jarry avaient l'esprit assez libre de préjugés pour concilier les deux points de vue ; de plus, ils s'amusaient. Ils eurent encore la chance de trouver près d'eux des graveurs dont l'art, volontairement simple, savamment naïf et presque franciscain, mais teinté de littérature et de pré-raphaélitisme, évoquait merveilleusement, dans sa forme, la gravure populaire ancienne et celle des primitifs. Grâce à l'Ymagier, la gravure sur bois connut une renaissance [...]. L'équipe moderne des graveurs de l'Ymagier, c'était Gourmont et Jarry eux-mêmes, Paul Gauguin, Filiger, Armand Seguin, Emile Bernard, Jossot, Maurice Delcourt, Whistler. Georges d'Espagnat fut introduit dans ce groupe par Gourmont. Devant exposer chez Le Barc de Boutteville, il cherchait un imprimeur pour son catalogue. Or, Remy de Gourmont possédait alors chez lui, 9, rue de Varenne, une presse à bras dont il se servait pour tirer ses bois, sans doute aussi ceux de Jarry. Il cherchait à se créer quelques revenus en établissant des maquettes pour des catalogues d'expositions. Le catalogue de la rétrospective de Clesinger, qu'il avait même préfacé, et celui de l'exposition d'Armand Seguin furent tirés d'après ses maquettes. Le Barc de Boutteville recommanda Gourmont à d'Espagnat, et celui-ci alla sonner rue de Varenne. Gourmont le reçut, lui fit son catalogue, aima sa peinture et lui demanda de collaborer à l'Ymagier, qui avait pour siège social l'appartement même de Gourmont. Quant à Jarry, il avait déniché le douanier Rousseau dans son octroi de Montrouge. Le peintre de la Bohémienne endormie fit pour l'Ymagier une grande lithographie à la plume, sans doute bien peu connue, tirée sur papier orange foncé et symbolisant, naïvement et férocement, les horreurs de la guerre [...]. Alain Jans faisait la transition entre les anciens et les modernes, et interprétait à la plume de vieilles statuettes de piété en pain d'épices. Des bois allemands, italiens et français des XVe et XVIe siècles, souvent réduits et parfois hélas ! regravés, une profusion d'images de piété, des vignettes rouennaises ou troyennes, quelques anciens bois japonais ou hindous, des pages de livres gothiques, des marques d'imprimeurs, avec celle des Gourmont en bonne place, de grandes images d'Épinal, composaient la partie rétrospective de la revue. Le texte, volontairement effacé par l'iconographie, se divisait en commentaires sur les gravures, en réimpressions d'œuvres du moyen âge mises en orthographe moderne par Gourmont : Aucassin et Nicolette d'après la version de Lacurne de Sainte-Palaye, la Patience de Griselidis, le Miracle de Théophile de Rutebeuf, le Ludus super iconia S. Nicolai d'Hilarius Monachus, et quelques délicieuses chansons populaires anciennes avec leur musique. Une étude de Gourmont sur la poésie populaire ancienne était précédée d'une épigraphe qui résumait assez bien le ton pittoresque et doucement ironique de la revue ; c'était une inscription lue sur la porte d'une laiterie aux environs de Marseille : Les personnes Mais Gourmont et Jarry se brouillèrent après le quatrième numéro. Gourmont continua seul et établit les quatre fascicules qui composent le second tome. Puis, pour ses souscripteurs qui avaient droit à un neuvième numéro, il fit avec Georges d'Espagnat l'Almanach de l'Ymagier [...] (B. Guégan et J. Mégret, Arts et métiers graphiques, n° 19, Paris, 19 septembre 1930).
2° Autres éditions : La Société des Amis d'Alfred Jarry a publié de très-réussis fac-similés de l'Ymagier 1 à 7 : l'Etoile-Absinthe Consultable sur Gallica Echos
J. Drexelius, « Moyen Age, Folklore », Mercure de France, février 1897, p. 400-401 Elzbieta Grabska, « Iconologues ou iconoclastes. Sur l'Ymagier de Jarry et de Gourmont », Poésie et peinture du Symbolisme au Surréalisme en France et en Pologne. Actes du colloque organisé par l'Institut d'Etudes Romanes et le Centre de Civilisation française de l'Université de Varsovie, novembre 1973, Les Cahiers de Varsovie 5, 1978. Emmanuel Pernoud, « De l'image à l'ymage. Les revues d'Alfred Jarry et Remy de Gourmont », Revue de l'Art, n° 115, 1997. |