Visages des contemporains (1913) |
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Visages des contemporains. Portraits dessinés d'après le vif (1908-1913), Mercure de France, 1913 (préface). Vol. in-18, 3.50 (20 hollande à 20 fr.). Apparition signalée dans le Mercure de France du 1er mai 1913, p 223. PRÉFACE André Rouveyre s'est fait connaître par plusieurs albums qui ont soulevé chacun un scandale d'un genre, en apparence différent, identique au fond, qu'il s'en soit pris aux figures, comme dans les Carcasses Divines, au corps féminin, comme dans le magnifique Gynécée, on lui reproche uniformément la nouveauté un peu âpre de sa vision. Il manquait de respect à la face auguste comme au corps divin, je crois qu'il ne s'en est pas étonné. Cela n'a pas fait dévier sa vocation : voilà qu'il réunit la série de Visages qu'il donna périodiquement au Mercure depuis quatre ans, et, à l'en croire, délinéer ses contemporains serait dorénavant sa seule obédience. Il a bien choisi, il faut toujours choisir l'infini, et le « Visage », c'est l'infini. Il y a beaucoup de peintres et de dessinateurs ; il y en a peu qui aient du paysage ou de la figure humaine une vision originale. Leurs impressions oscillent de la photographie à la caricature : ou la nature toute plate, ou la nature qui grimace, et encore selon des courbes convenues, répétées à satiété. Sans doute, on peut dire en général que tout ce qui n'est pas photographie est caricature, si l'on donne à ce mot son sens primitif de charge, exagération, l'artiste étant porté à appuyer sur les traits de caractère qui frappent d'abord sa vue et la retiennent. En réalité, la caricature, ou ce que nous appelons ainsi, n'est qu'un procédé de déformation, dont les miroirs convexes ou concaves nous donnent les types les plus ingénus. Il s'agit de faire rire et on y arrive à peu de frais. Rouveyre, au contraire, veut, par ses images étudiées, construites, analysées, puis recomposées, nous faire réfléchir. Il y arrive très souvent, mais par un travail qui dompte à chaque fois, non sans effort, sa spontanéité naturelle. Voir, nous ne le savons pas, ou nous le savons de moins en moins, et peut-être plus du tout. La photographie a brusquement achevé et clos l'œuvre du professeur de dessin, qu'elle rend inutile. C'est un grand progrès : il n'y a plus qu'à décalquer. Nous revoilà à Dibutade, qui inventait le dessin en suivant avec un morceau de charbon les contours d'une ombre sur le mur. Avec cela, le modèle et le « trait de force » qui déroutait Pécuchet, on s'élève facilement à l'idéal, aux sommets de l'idéal. Mais j'aime autant que l'art ait de moins hautes visées, qu'il se borne à être personnel et caractéristique. Et ce sont bien, dans le domaine du portrait, où il veut se restreindre, les qualités premières d'André Rouveyre. Cette figure vue par lui ne l'a été que par lui seul. Il s'y est arrêté, non pas objectif froid, mais œil intelligent. Avant de la dessiner, il a voulu la comprendre. Les lignes, les ombres, les saillies, les creux et même les couleurs, qu'il rend à sa manière, lui ont parlé et il a entendu leur langage. Tout pense dans une tête qui pense. Rien dans les figures de Rouveyre qui ne soit symbolique d'un état intérieur : d'où leur vie, d'où les discours qui semblent sortir de chacun des plis de leur peau. Mais je dois dire aussi qu'il ne s'agit là que de quelques-uns des visages qui vont suivre. A mesure qu'il progressait dans la recherche psychologique, il devait perdre parfois de vue le but même du dessin qui est de représenter véridiquement ce qu'il s'est chargé de conserver pour l'œil. A force d'interpréter, il charge un peu ses lignes de commentaires, et beaucoup de ces nouveaux Visages ont refusé de se retrouver dans une image qu'ils jugeaient travestie, voire offensante. Il faut le dire, puisque c'est vrai. Ici ou là Rouveyre s'est montré cruel. Les puissances du jeu l'ont emporté sur celles de la raison, quelquefois, mais pas toujours dans le sens d'une vérité secrète. Il a. dépassé le ton, non beaucoup plus que Sem, peut-être, mais avec plus de variété et plus d'âcreté. Cela a frappé ; cela a blessé aussi. Certaines têtes, surtout de femmes, après qu'on les reconnaît (c'est moins grave quand on ne les reconnaît pas ; il y en a), donnent à pleurer. Cela ne devrait pas être. Elles ne devraient pas non plus donner à rire, mais seulement à méditer. Il y en a assez de cet ordre pour engager à une calme discussion de son art et en général de la dangereuse déformation. Ce n'est pas le moment. Regardez et méditez. REMY DE GOURMONT. Précédant le premier visage, celui d'Anatole France, cette préface, avec des variantes, est d'abord parue dans le Mercure de France du 16 novembre 1908, p. 193-194 : ANDRÉ ROUVEYRE M. Rouveyre s'est fait connaître par deux albums dont le dernier, Carcasses divines, souleva cette sorte de scandale qui ne manque presque jamais aux nouveautés un peu âpres. II y a beaucoup de peintres et de dessinateurs ; il y en a peu qui aient du paysage ou de la figure humaine une vision originale. Leurs impressions oscillent de la photographie à la caricature : ou la nature toute plate, ou la nature qui grimace, et encore selon des courbes convenues, répétées à satiété. Sans doute, on peut dire en général que tout ce qui n'est pas photographie est caricature, si l'on donne à ce mot son sens primitif de charge, exagération, l'artiste étant porté à appuyer sur les traits de caractère qui frappent d'abord sa vue et la retiennent. En réalité, la caricature, ou ce que nous appelons ainsi, n'est qu'un procédé de déformation, dont les miroirs convexes ou concaves nous donnent les types les plus ingénus. Il s'agit de faire rire et on y arrive à peu de frais. M. Rouveyre, au contraire, veut, par ses images étudiées, construites, analysées, puis recomposées, nous faire réfléchir. Il y arrive aussi, mais par un travail qui dompte à chaque fois, non sans effort, sa spontanéité naturelle. Voir, nous ne le savons pas, ou nous le savons de moins en moins, et peut-être plus du tout. La photographie a brusquement achevé et clos l'œuvre du professeur de dessin, qu'elle rend inutile. C'est un grand progrès il n'y a plus qu'à décalquer. Nous revoilà à Dibutade,qui inventait le dessin en suivant avec un morceau de charbon les contours d'une ombre sur le mur. Avec cela, le modèle et le « trait de force qui déroutait Pécuchet, on s'élève facilement à l'idéal, aux sommets de l'idéal. Mais j'aime autant que l'art ait de moins hautes visées, qu'il se borne à être personnel et caractéristique. Et ce sont bien, dans le domaine du portrait, où il veut se restreindre, les qualités premières de M. André Rouveyre. Cette figure vue par lui ne l'a été que par lui seul. II s'y est arrêté, non pas objectif froid, mais œil intelligent. Avant de la dessiner, il a voulu la comprendre. Les lignes, les ombres, les saillies, les creux, et même les couleurs, qu'il rend à sa manière, lui ont parlé et il a entendu leur langage. Tout pense dans une tête qui pense. Rien dans les figures de M. Rouveyre qui ne soit symbolique d'un état intérieur d'où leur vie, d'où les discours qui semblent sortir de chacun des plis de leur peau. Mais en voilà assez. M. Rouveyre désirait être présenté. C'était inutile, car il aura vite fait de se créer ici des admirateurs. Dès le premier de ses Visages, dès ce « France », noble, doux et méditatif, il va achever de conquérir le public des lettres, heureux de retrouver, dans quelques traits les plus simples, l'attitude et la pensée de son maître le plus aimé. Et les autres viendront tour à tour, hommes ou femmes qui auront eu l'heur de plaire à l'œil sagace et difficile du portraitiste, devenu ainsi un peu le juge de ses contemporains. Cependant,on imprime le Gynécée, qui troublera plus d'un système nerveux, qui mettra bien des cervelles à l'envers et présentera un Rouveyre inattendu. Mais pourquoi inattendu ? Avec lui, il faut peut-être s'attendre à tout. Attendons. TABLE
Echos
Les Treize, « La Boîte aux Lettres », L'Intransigeant, 2 mai 1913, p. 2 Remy de Gourmont, « Visages », La Fin de l'art, Les Cahiers de Paris, 1924 Marcel Coulon , « Questions juridiques. Procès Jane Catulle-Mendès contre André Rouveyre », Mercure de France, 15 juin1920, p. 766-767 |