Guillaume Apollinaire (1880-1918), lecteur du Mercure |
Quand je le revis après sa terrible blessure et avant sa trépanation, au Val-de-Grâce, où on l'avait conduit directement du front, il me montra son casque troué par un gros éclat d'obus et m'expliqua : J'étais en train de lire devant ma cagna, en deuxième ligne. Je ne l'ai même pas entendu venir. Je n'ai rien ressenti. Et tout à coup j'ai vu mon sang pisser qui me coulait de la tête et me tombait sur les mains. C'est alors seulement que je me suis senti mal, Blaise. Et que lisais-tu, Guillaume, pour être pareillement absorbé ? Le Mercure de France, ma dernière chronique de La Vie anecdotique. Tiens, regarde... Et le lieutenant Apollinaire me tendit un Mercure tout maculé de sang. Il avait rapporté le numéro !... A cause de ce sang du poète, je n'ai jamais lu cette chronique d'Apollinaire. C'était au printemps 1917. (Cendrars, Bourlinguer, Denoël, 1948) Dans les tranchées de Champagne, l'hiver de 1915-1916 fut très dur. Comment, par qui appris-je sa blessure ? Je me revois dans sa chambre du Val-de-Grâce, je revois, accroché au pied de son lit, son casque troué, je revois sur sa table de nuit le numéro du Mercure, noir de sang, qu'il lisait lorsqu'un éclat d'obus l'atteignit à la tête. Sur ce numéro du Mercure, le sang est aujourd'hui tout pâle. [...] Puis ce fut la villa Molière où son infirmier fut Henri Duvernois [...]. Apollinaire m'apparut en pyjama violet et je ne sais si ce fut l'influence de cette couleur, mais sa vue m'attrista plus encore qu'au Val-de-Grâce (A. Billy, Le Pont-des-Saints-Pères, Arthème Fayard). Mais sa convalescence touchait à sa fin. [...] Pour qu'il pût rester à Paris, il lui fallait y trouver un emploi militaire. La Maison de la Presse fut pressentie. Son seul nom y provoqua la panique. Un cubiste, un fumiste, un voleur de statuettes dans les services de la sacro-sainte propagande ? Vous ne l'auriez pas voulu ! Je me tournai vers la Censure [...]. Apollinaire censeur ? Et pourquoi pas ? Je ne me rappelle plus qui dirigeait la censure des périodiques ; c'était certainement un homme d'esprit. Voilà donc Apollinaire armé d'un crayon bleu [...] et accordant le visa ou le refusant aux revues et aux périodiques. Il collaborait au Mercure de France. Il eut à le surveiller ligne à ligne, mot à mot, pour empêcher que rien y parût qui aurait pu mettre la patrie en danger (A. Billy, Le Pont-des-Saints-Pères, Arthème Fayard). |