Quand je le revis après sa terrible blessure et avant sa trépanation, au Val-de-Grâce, où on l'avait conduit directement du front, il me montra son casque troué par un gros éclat d'obus et m'expliqua :

— J'étais en train de lire devant ma cagna, en deuxième ligne. Je ne l'ai même pas entendu venir. Je n'ai rien ressenti. Et tout à coup j'ai vu mon sang pisser qui me coulait de la tête et me tombait sur les mains. C'est alors seulement que je me suis senti mal, Blaise.

— Et que lisais-tu, Guillaume, pour être pareillement absorbé ?

— Le Mercure de France, ma dernière chronique de La Vie anecdotique. Tiens, regarde...

Et le lieutenant Apollinaire me tendit un Mercure tout maculé de sang. Il avait rapporté le numéro !...

A cause de ce sang du poète, je n'ai jamais lu cette chronique d'Apollinaire. C'était au printemps 1917. (Cendrars, Bourlinguer, Denoël, 1948)


Dans les tranchées de Champagne, l'hiver de 1915-1916 fut très dur. Comment, par qui appris-je sa blessure ? Je me revois dans sa chambre du Val-de-Grâce, je revois, accroché au pied de son lit, son casque troué, je revois sur sa table de nuit le numéro du Mercure, noir de sang, qu'il lisait lorsqu'un éclat d'obus l'atteignit à la tête. Sur ce numéro du Mercure, le sang est aujourd'hui tout pâle. [...] Puis ce fut la villa Molière où son infirmier fut Henri Duvernois [...]. Apollinaire m'apparut en pyjama violet et je ne sais si ce fut l'influence de cette couleur, mais sa vue m'attrista plus encore qu'au Val-de-Grâce (A. Billy, Le Pont-des-Saints-Pères, Arthème Fayard).


Mais sa convalescence touchait à sa fin. [...] Pour qu'il pût rester à Paris, il lui fallait y trouver un emploi militaire. La Maison de la Presse fut pressentie. Son seul nom y provoqua la panique. Un cubiste, un fumiste, un voleur de statuettes dans les services de la sacro-sainte propagande ? Vous ne l'auriez pas voulu ! Je me tournai vers la Censure [...]. Apollinaire censeur ? Et pourquoi pas ? Je ne me rappelle plus qui dirigeait la censure des périodiques ; c'était certainement un homme d'esprit. Voilà donc Apollinaire armé d'un crayon bleu [...] et accordant le visa ou le refusant aux revues et aux périodiques. Il collaborait au Mercure de France. Il eut à le surveiller ligne à ligne, mot à mot, pour empêcher que rien y parût qui aurait pu mettre la patrie en danger (A. Billy, Le Pont-des-Saints-Pères, Arthème Fayard).