Que dire des Ephémères de Fagus ? Ce sont des divagations spirituelles, des éclairs de poésie dont le charme réside dans la diversité de l'inspiration et dans la qualité de la langue. Le sujet du livre, c'est l'âme éparpillée du poète, qui se souvient de ses émotions réelles et de ses rêves tout aussi réels, y mêle ses lectures, l'histoire, la mythologie et parfois se met à danser ses pensées sur une flûte d'un sou.

Sur la première page du volume, je trouve une dédicace que je transcris :

A qui que ce soit du Mercure,
Soit cet ours offert, au hasard,
Mais sauf à Maurice Boissard,
Car il porte dès sa figure
Son âme de damné rossard,
Et de pendard, et de gueusard,
De communard, de Dreyfusard,
Et pour tout dire de Boissard !

Souhaitons que Boissard réponde avec la même cordialité à ce septain et sur des rimes en us. Je les publierai.

(Jean de Gourmont, « Littérature », Mercure de France, 1eravril 1925, p. 172-173).


Fagus et M. Boissard. — A la suite de mon articulet sur son livre Les Ephémères, où j'exprimais le vœu que Boissard répondît par un septain spirituel aux vers cités du poète fantaisiste, Fagus m'envoie cette lettre « à publier, si bon me semble ». Elle m'est ainsi adressée :

Monsieur Jean de Gourmont, au Mercure de France
(Un noble alexandrin éjecté sans souffrance).

JEAN DE GOURMONT.

Ce 2 avril 1935.

Non, Confrère Jean de Gourmont, non : Maurice Boissard ne me répliquera ni par septain ni par sixain. Et pourquoi ? Parce que la poésie lui demeure interdite comme le pater aux ânes, la langue française à Albalat, l'intelligence à Paul Souday. Un jour, dans les Nouvelles Littéraires, il narra sa villégiature (était-ce à Deauville ? peu importe) et, fantaisie, ou ambition, lui prit d'insérer là un quatrain. Oh ! le navrant spectacle ! Eh bien, puisque nous sommes encore en carême, il faut que je confesse mes criminelles ardeurs, Oui, c'est à cause de quoi je nourris pour Boissard un amour contre nature. Non que je brûle de forniquer avec l'écrivain de Petit Ami. Mes intentions sont pures. J'aime en Boissard, moi poète lyrique et parce que, le prosateur pur, le prosateur par excellence. Certains sont des lyriques en prose, tel Michelet, lequel se vantait de n'avoir jamais réussi un vers : et parbleu, son rythme était ailleurs. En d'autres, le poète est mort jeune, mais il en reste toujours quelque chose. Boissard, lui, n'a jamais conçu que prosaïquement la vie et les hommes. Quelle supériorité ! Je le déclarais l'un de nos trois ou quatre prosateurs par dessus tous : Klingsor me répondit que des trois ou quatre il retrancherait volontiers un ou deux, au moins. Et Klingsor est judicieux. Oui, Boissard a l'âme basse, il ne conçoit rien à nul sentiment quelque peu noble. Je le soupçonne même « d'en remettre », oui : de représenter moins Diogène qu'Antisthène et son manteau aux trous faits exprès. Il ne m'en ravit que mieux. Il est cela, il est comme cela, mais il l'est franchement. Au lieu que tant d'autres, Léon Bloy ou Mirbeau, pour ne citer aucun nom, furent au moins aussi vils, mais cauteleusement, et se donnant les gants d'être de grands cœurs. (Et j'oubliais Anatole France.) Et c'est pourquoi, lyrique impénitent, j'aime, que dis-je aimer, j'idolâtre Boissard ; tant il est démuni de toute poésie, tant il possède ce que je désire ne posséder jamais, tant il figure le prosateur par excellence.

Votre confrère, FAGUS.

(« Echos », Mercure de France, 1er mai 1925, p. 860-861).

A suivre.


BELLE COMME LA BEAUTÉ

Aux temps lointains où le Mercure de France gîtait au n° 15 de la rue de l'Echaudé-Saint-Germain, au sortir des rachildiens mardis, je passais nécessairement devant les maisons de la même rue que désignent — sans ostentation — les n[umér]os 27 et 29. Elles datent vraisemblablement du temps de la Ligue et virent la Journée des Barricades. Leur rez-de-chaussée bas se creuse entre des pilastres trapus dont le rude encorbellement peine sous la tassée des étages. Les rideaux rouges, savamment éclairés, se soulèvent d'eux-mêmes dès que sonne le pas d'un mâle : et un visage de bonne hôtesse apparaît, souriant et fardé. L'esprit ennuagé par la fumée des cigarettes et celle des sottises dites, se retrouvait sans surprise dans ce Paris de Mathurin Régnier, si parfaitement assorti à la rue étroite, silencieuse et noire, au delà de laquelle s'entrevoyaient les tours de Saint-Sulpice, tandis que battaient les cloches de Saint-Germain des Prés.

Jean de Tinan, un soir, entr'ouvrit l'une des baies hospitalières : « Que faites-vous donc là, Mesdames ? » demanda-t-il d'un air candide. « L'amour, mon joli brun... »

Hélas ! ici, l'auteur d'un Document sur l'impuissance d'aimer se conduisit... mon Dieu, comme son titre : il ne trouva à répondre que : « Continuez.» Et s'esquiva ! Que ces dames n'avaient-elles lu Chamfort ? Elles auraient su quoi répliquer : « M. le comte de Charolais, ayant surpris M. de Brissac chez sa maîtresse, lui dit : « Sortez ! » M. de Brissac lui répondit : « Monseigneur, « vos ancêtres auraient dit : « Sortons ! »

Je résolus de relever l'honneur de mon sexe. J'entrai, et je continuons. Et j'en fus merveilleusement récompensé ! Ma partenaire mima bientôt le vers de ce cher Racine :

Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent...

Or, voici que le suprême se vit arrêté dans sa chute par la pointe d'un des seins : de sorte que, une seconde durant, l'autre seul apparaissait, rond, lisse, satiné, rose, ferme, élastique, marmoréen, sublime ! Splendeur d'un fragment de statue ! vision qui toujours me demeurera présente, et qui me fit écrire — pas immédiatement ! — les vers dorés que voici :

La chemise glisse,
Un sein a jailli :
L'autre se hérisse,
A demi retient,
Suspendu, le lin :
C'est rien qu'un éclair,
L'autre sein jaillit ;
La chemise glisse,
S'arrête un moment
Autour des deux cuisses,
Et puis se répand :
Angoisse et délice,
Le fruit a jailli !...

Et quand je relis dans Anthinéa les phrases par quoi Charles Maurras célèbre l'une des « Parques » de Phidias : « La ceinture a glissé. La robe laisse à découvert une gorge naissante, l'épaule ronde, ferme, forte, si pleine de saveur, de finesse et de gloire qu'on n'en peut rêver de plus belle... », ce n'est point toi, Parthénis, que je revois, ce n'est pas Athènes et c'est aussi beau : le sein, — le sein gauche et l'épaule de la jeune gaupe qui se dévêtit, pour moi ! dans un bouge de la rue de l'Echaudé-Saint-Germain. Un bouge ? Oh ! non : ton sanctuaire, ô Beauté !

(« Belle comme la beauté », Les Ephémères, Les Quatorze n°10, Le Divan, 1925, p. 21-23).