Henri Bressac, « Chroniques. V. Les Théâtres », L'Ermitage, 2e année, n°1, janvier 1892, p. 53-54

THÉÂTRE D'ART

Soirée chargée le 11 décembre dernier et au plus haut point importante. [...]

Ensuite Théodat, par Rémy de Gourmont. L'évêque Théodat a dû, pour entrer dans le sacerdoce, renvoyer sa femme Maximienne qui ne voulait pas être sœur après avoir été épouse. Mais celle-ci revient tout à coup, brave l'évêque, l'adjure, le caresse, enfin, le reconquiert. — Cette pièce, antérieure au beau roman de Sixtine, paraît-il, a bien l'air d'une œuvre de jeunesse, les imprudences abondent : trop prolongé le chant du kyrie, quelques mesures et quelques accords plaqués sur l'orgue suffisaient : trop longue aussi l'allocution de l'évêque aux néophytes, on pense involontairement aux heures passées à la Nationale à compulser sans doute la Patrologie Migne. Et puis des personnages planant de si haut, comme de chaires, et cet enlacement brutal, presque bestial, de la fin ! — Très beau décor et costumes justes, dessinés par Maurice Denis, mais interprétation faible, M. Lugné Poë n'a rien d'un évêque gallo-romain, et Mlle Camée a joué son rôle en gamine de Paris.


Edmond Cousturier, « Première représentation du Théâtre d'Art », L'Art moderne n°51, 20 décembre 1891, p. 407

Le Théodat de M. de Gourmont nous dit l'aventure d'un évêque repris par sa femme en l'an 570 ; le dénouement des ceintures est retardé par un long étalage d'érudition théologique, dont l'auteur trouvera peut-être dans une œuvre prochaine une utilisation plus esthétique ; les belles pages de Sixtine assez postérieures à Théodat suffisent à fortifier notre espoir.


Henry Fouquier, « L'Art mystique », Le Figaro, 15 décembre 1891, p. 1

Le Théodat de M. de Gourmont se rapproche fort des conditions ordinaires du théâtre. C'est l'anecdote d'un évêque marié que sa femme revient reprendre aux pieds des autels : en somme, rien de plus que le quatrième acte de La Favorite, la musique étant remplacée par un effroyable étalage d'érudition empruntée au dictionnaire des hérésies. Flaubert avait déjà eu de ces énumérations fastidieuses qui étonnent et n'apprennent rien. De plus, dans ce petit acte, on chante l'office, ce qui a paru ravir des gens qui ne vont peut-être pas l'entendre à l'église, sous prétexte que ça les ennuie. C'est l'éternelle badauderie qui nous fait aimer les choses quand elles sont changées de milieu. C'est ainsi que, dans les théâtres, on se pâme bêtement devant l'apparition d'un vrai fiacre. Ceci est sans valeur, même sans curiosité.


Marcel Fouquier, « Drame et comédie », Nouvelle revue, janvier 1892, p. 211-212

[...] Le Théodat de M. Remy de Gourmont est une aimable saynète mérovingienne. Théodat a pieusement abandonné sa femme pour devenir évêque de Clermont. S'il a comme évêque (avec une certaine prolixité) l'indulgence, non de ceux qui aiment, mais de ceux qui se souviennent d'avoir aimé, il se croit inébranlablement ferme dans sa foi. Mais une vieille femme demande à le voir. Il l'accueille. Rejetant ses haillons, redressant sa souple taille, l'épouse, vêtue d'un peignoir digne de la reine de Saba, se montre aux yeux éperdus de Théodat. Elle vient le reprendre. Le pauvre Théodat résiste de son mieux par des prières et par la fuite. Mais Maximienne a tant de légèreté et d'amour véritable ! Sans compter qu'elle a lu les Pères et rétorque les citations de Théodat par d'autres à la fois sacrées et diaboliques. Ayant fait une belle défense, le pauvre Théodat succombe. Ce petit acte, riche de conséquences morales que je ne saurais même effleurer et qui n'ont rien de bien neuf, vaut par le sérieux sacerdotal avec lequel M. de Gourmont a traité un sujet si scabreux. Peu de Gyp, juste assez pour que Maximienne ait de l'esprit de malice, mais du Flaubert, beaucoup de Flaubert, celui de la Tentation de saint Antoine. Ce spectacle aurait intéressé vivement Synésius qui garda sa femme dans l'épiscopat, ou encore Sidoine Apollinaire, qui fut, comme Théodat, évêque de Clermont. Il a amusé M. Jules Lemaître et il aurait amusé M. Renan, si M. Renan était venu.

Le Concile féerique de M. Jules Laforgue, plus encore que ce Théodat, est bien peu fait pour la représentation. On a sifflé, il y a eu un beau tapage, et la chose était à prévoir. M. Laforgue, mort tout jeune, a, dans un coin de la jeune littérature, des admirateurs qu'anime, et qu'échauffe parfois le zèle de sa mélancolique mémoire. Ces amis le proclament un génie et l'honorent comme un des grands saints de la Décadence. M. Laforgue eut-il ou aurait-il eu du génie ? Je m'abstiens de toute opinion. Mais, lorsqu'il mourut, il avait publié des vers et des « proses où se marque, à travers des partis pris fâcheux (et si faciles) d'obscurité et d'excentricité, une âme intéressante d'ironiste tendre ou de sentimental amer. Il connaissait Spinoza et Gavarni. Il aimait à la folie les petites chansons des grands poètes : Henri Heine et Verlaine. C'était un gavroche lettré, souvent triste jusqu'à la souffrance. Et quand d'aventure il était sincèrement triste, et simple relativement, il lui arrivait d'être un poète étrangement délicieux. Mais le Concile féerique n'est pas son chef-d'œuvre, pièce de début et de cénacle, où le pessimisme de la pensée s'enveloppe de formes un peu apocalyptiques ou abracadabrantesques [...].


Georges Jean-Aubry, « Le théâtre de M. Remy de Gourmont », La Grande Revue, 18e année, n°7, 10 avril 1914, p. 474-487


Julien Leclercq, « Théâtre d'Art : La Geste du Roy. — Les Aveugles. — Le Concile féerique. — Théodat.Le Cantique des Cantiques. », Mercure de France, janvier 1892, p. 83-87

[...] Parlons de Théodat, par Remy de Gourmont, qui est l'auteur de l'un des vingt ou trente bons romans écrits depuis Flaubert. La conception de ce drame était originale, et puissante. Un prêtre du VIIIe siècle, élevé à l'épiscopat, doit renoncer à l'épouse par obéissance aux conciles. Maximienne fuit, le monastère où elle devrait achever son âge, et, dans la fidélité de son amour, devenu coupable malgré sa légitimité, elle vient troubler Théodat dans son désir d'obéissance, le tente, et il succombe. Les intentions de Remy de Gourmont apparaissent clairement pour qui pénètre les secrets de la genèse d'une œuvre ; malheureusement, il n'a presque rien exprimé de ce qu'il avait à dire. Je devine que le drame existe dans le renoncement à la chair, renoncement d'autant plus terrible que l'épouse obligatoirement délaissée a toutes les grâces de l'épouse fidèle, qu'elle a en son pouvoir des armes légitimes forgées des mains mêmes de Théodat, qu'elle est le séduisant souvenir de plaisirs connus ; je devine toutes ces choses, qui font de la tentation de Théodat une tentation autrement humaine et douloureuse que celle de Saint-Antoine, mais Remy de Gourmont nous a montré seulement d'une façon explicite un prêtre tenté par la chair qui, sous le masque de Maximienne, arrive et déploie ses moyens de séduction purement sataniques. Maximienne a le rire malin, l'attitude frivole, et il était nécessaire, puisque Dieu était acteur, qu'on vit le Diable, mais ce n'était pas là tout le drame. Aussi la scène d'exposition entre Théodat et ses clercs, scène où le caractère un peu sec de ce prélat de temps encore barbares était éloquemment indiqué, est-elle bien supérieure à la scène de la tentation et de la chute ; le caractère de Maximienne est équivoque.

Lugné-Poë est un acteur extrêmement intelligent, qui a rempli comme il convenait le rôle de Théodat, et, si Mlle Georgette Camée a étonné par sa malice, c'est que tels étaient les désirs de l'auteur.

[...] Encouragements aux uns, félicitations aux autres : à Mlle Page, une jolie débutante, et à MM. R. Lagrange, H. Durtal, Baudouin, Château, Geo. Ragot, Donnet, A. Girault, A. Félix, qui a joué avec une admirable santé un frère portier dans Théodat et l'Echo du Concile féerique.


Jules Lemaitre, « La semaine dramatique », Journal des débats politiques et littéraires, 14 décembre 1891, p. 2

Théodat, de M. Rémy de Gourmont, est intéressant, un peu de la même façon que la pittoresque assemblée des hérétiques dans La Tentation de saint Antoine. La couleur de ce petit tableau paraît juste. Une Église puissante, sanguine et roide, des âmes rudes, pédantes, subtiles et passionnées nous y sont peintes dans un raccourci dur et sec. L'évêque Théodat s'est séparé de sa femme Maximienne, car le Concile de Nicée, si j'ai bien compris, a interdit aux évêques mariés de vivre avec leurs femmes. Toutefois, sa chair se souvient. Il se dompte en priant, en instruisant ses clercs, touchant la consusbtantialité et la coéternité du Verbe, et en les mettant en garde contre les récentes hérésies d'Arius et d'Eutychès. Mais sa femme vient le relancer dans son oratoire : elle l'aime et veut vivre avec lui. Il lui répond par des textes de l'Écriture : elle lui oppose d'autres textes ; car, avec ses beaux cheveux et son corps mignon, elle est presque aussi théologienne que lui, comme il sied à une femme d'évêque. Ce mélange de pédantisme et d'amour a semblé piquant et vrai... L'évêque est vaincu dans cette lutte, Maximienne ayant d'autres armes encore que son latin... Mlle Camée, détendant ici son hiératisme accoutumé, avait l'air, dans ce rôle de Maximienne, d'une jeune Montmartroise déchaînée sur un évêque de vitrail.


François de Nion, « Théâtre : Théodat », La Revue indépendante, décembre 1891, p. 421-422

Théodat (1891 & 1893)

Le public mis en joie et en fureur par cette plaisanterie a fait ensuite un assez mauvais accueil à Théodat, la pièce de M. Rémy de Gourmont. Elle a sa valeur cependant et les lecteurs de la Revue qui se souviennent de l'avoir vue en ces pages peuvent dire l'exacte impression qu'elle donne d'une âme troublée de prélat au temps de la décadence mérovingienne.

M. Lugné-Poë et Mlle Camée ont, avec une haute autorité, un talent souple et profond, défendu et sauvé la pièce.

J'ai fort goûté la grande tenue de M. Lugné dans le rôle difficile de Théodat, sa hauteur sobre, ses attitudes ; il est, dans son jeu contenu, trop sage même — c'est un défaut de jeunesse qui passera — un comédien de race et de sûre distinction ! Quant à Camée, ses rôles un peu effacés dans cette séance et surtout obscurcis — oh ! les rampes éteintes — ne lui ont pas permis de déployer autant qu'elle l'aurait pu son originalité puissante ; pourtant, dans La Geste du roi, sa belle voix aux registres variés, d'une souplesse et d'une grâce inexprimables, ont agité la salle, à certains vers, d'un souffle d'enthousiasme.


Francisque Sarcey, « Chronique théâtrale », Le Temps, 14 décembre 1891, p. 2

Le rideau se relève pour Théodat de M. Rémy de Gourmont. La scène est dans une demi-obscurité ; il y a progrès, comme vous voyez. Théodat est un évêque qui a quitté sa femme pour l'épiscopat. Il est entouré de ses disciples et leur fait un cours sur la nécessité de quitter la femme, quand on veut se consacrer à Dieu. La leçon est fort longue et coupée d'interrogations. Les disciples se retirent. Une femme entre, c'est la femme de Théodat. Elle lui reproche son abandon ; il a trahi ses promesses. L'autre répond comme il peut ; c'est Dieu qui l'a voulu. La femme a recours alors à d'autres artifices : « Je ne suis donc plus belle, lui dit-elle ; tu as donc oublié nos caresses », etc., etc. Et elle échauffe si bien l'évêque que, jetant sa crosse qui le gêne, il serre dans ses bras la bien-aimée d'autrefois, l'emporte sur un banc et la toile tombe. Il était temps.


Willy, Soirées perdues, Tresses et Stock, Paris, 1894, p. 167

De Théodat, il appert que l'antifouquiériste Rémy de Gourmont est éminent surtout comme antipatriote. Il a peu renouvelé le sujet : tentation d'un sacerdote par une femme. Son drame malgré

Florem amaris nascentem
Atque gemmam rubescentem
Vidi singulam marcentem
In manibus depositam

chanté à l'orgue par Maximienne, n'est ni blasphématoire, ni érotique, mais plutôt cotonneux. Et pourtant, c'est toujours avec un nouveau plaisir qu'on retrouve ces bons hérésiarques Nestorius, Arius, Eutichès et Apollinaire. — Costumes par M. Maurice Denis.

[Textes entoilés par Ch. Buat & par Th. Gillybœuf.]