Je suis sûr que mes amis du « Bon Plaisir » seront heureux de pénétrer avec moi dans la modeste maison où mûrit la pensée qui aura le plus d'influence sur la jeunesse capable d'avoir des « ivresses d'idées » et de se complaire dans le jeu désintéressé de l'esthétique intellectuelle. Comme on y découvre la physiologie spirituelle de l'Écrivain ! Idéalisme et sensualisme, perfection frémissante fleurie sur un arbre généalogique vigoureux.

Sa chambre, petite et presque monastique, est à côté avec une bibliothèque de livres anciens venus du manoir de Mesnil-Villeman, à six lieues de Coutances, où s'allongeait l'odorante allée des « lys pâles » qu'il a chantés. Un portrait de la grand'mère paternelle fait par la marquise de Gourmont, vers 1860, est une curieuse, peinture où on distingue déjà les prémisses d'un certain cubisme géométrique.
Sur l'unique fenêtre grimpe un rosier dont une rose rouge se détache sur le ciel. C'est la soeur de celle qu'il a célébrée dans une des plus émouvantes pages de « La petite ville » [...]

Mme Nicolas sur le point de lire "Le colimaçon" dans la pièce même où Remy de Gourmont écrivit la Petite Ville.

Bois de Suzanne de Gourmont in Remy de Gourmont vu par son médecin.

Dans le jardin c'est un monde vigoureux de fleurs où dominent les roses –– toujours les roses, –– des fuchsias, des phlox, des capucines, un palmier en pleine terre. Le sol est gras et nourricier. Sur les murs, de magnifiques espaliers de poiriers et de pommiers, une vigne dont n'a jamais parlé cet écrivain qui n'est pas descendu plus bas que la Loire [...]
« Il s'arrêtait regardant une feuille, des heures... » Sur des fraisiers, des toiles d'araignées luisent de rosée.
« Il a observé plus d'un drame d'amour et de chasse autour de ces toiles », me dit Henri de Gourmont.

Et voici au fond du jardin, une chaise pliante sur laquelle il demeurait assis de longues heures, près d'un petit mur bas qui lui servait de champ d'observation pour les fourmis. Un carré de bois protégeait ses pieds de l'humidité.
Ce jardin surplombe comme un balcon le jardin public où l'on devine, à droite, son buste. On aperçoit à travers les branches le colimaçon auquel il a consacré une page exquise.

Des corneilles jettent dans le ciel leurs cris impressionnants. (Dr P. Voivenel, Remy de Gourmont vu par son médecin)

La déclaration de guerre le surprit à Coutances dans cette petite maison dont le parterre domine comme un balcon le jardin public de la " petite ville ", un des plus gracieux jardins de France, bâti en étages, et vraiment suspendu comme les jardins de Babylone. A travers les arbres qui ont trop poussé, on aperçoit une route blanche qui monte vers le ciel, et les piliers du vieil aqueduc romain, pas d’un géant qui enjambe le vallon. De son balcon, mon frère adossé à la charmille, sous l’éventail des branches d’un sapin indiscret qui a plongé ses bras par-dessus le mur –– regarde les couples éternels et anonymes des amants, tandis qu’à ses pieds, les scarabées dorés et les cétoines bleues jouent aux mêmes jeux ; des fourmis suivent des chemins compliqués et mystérieux, se rencontrant, se parlent des antennes, se transmettent une nouvelle peut-être... Il regarde, observe, étudie... Puis il traverse l’allée, caresse une rose rouge qu’il ne cueille pas, à qui l’offrir ?... et qu’il contemple comme un souvenir ou un regret. Lentement il monte les marches du vieil escalier de pierre aux colonnes romanes... tandis que de la Cathédrale, aux aiguilles si fines perçant le vent, tombent des heures calmes. […] Tout à coup, dans ce calme et dans ce silence de la petite ville, le tocsin ! C’est la guerre. Mon frère a dit son émotion de cette heure, et ce que fut sa vie, ces premiers mois du conflit, où il se trouva prisonnier dans la petite maison familiale. (Jean de Gourmont, Préface de Pendant la guerre)

 

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