Guillaume Apollinaire (1880-1918) |
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2. « Les Phéniciennes », La France, 13 septembre 1911 & Le Vase magique, 1923 3. « Sur un portrait », La France, 7 juin 1913 & La Fin de l'art, 1925 1. « Le poète canonnier », Dans la tourmente, Crès 1916, p. 85-88
LE POÈTE CANONNIER 2 Juillet 1915. Il m'est arrivé du front, l'autre jour, un livre bien singulier et qui restera probablement une des curiosités de la guerre, d'abord par son origine, ensuite par bien d'autres motifs : son titre, sa composition, son tirage très restreint, son goût singulier. Naturellement, il n'est pas imprimé, mais seulement tiré au polycopiste, mais cela ne lui ôte pas son caractère de livre, pourvu d'un titre, d'une couverture, voire d'une justification du tirage et d'un « achevé de tirer », ainsi libellé : « Le tirage à 25 exemplaires des 21 poèmes de la Case d'Armons a été achevé à la batterie de tir, devant l'ennemi, e régiment d'artillerie, e batterie, par les maréchaux des logis Bodard et Ber[t]hier, le 4 juin 1915. » Quant à l'auteur, c'est Guillaume Apollinaire, qui, en devenant canonnier, n'a pas cessé d'être le poète étrange que l'on connaît. Il paraît que Case d'Armons est un terme du métier, mais les poèmes ne sont pas spécialement militaires, quoiqu'ils se ressentent presque tous du milieu nouveau où ils ont été écrits. Beaucoup d'entre eux sont comme il sied, incompréhensibles, ce qui ne les empêche pas d'être semés d'éclairs d'une certaine beauté, comme ceci, bien en situation : L'air est plein d'un terrible alcool. Je trouve merveilleux qu'artilleurs ou fantassins n'en soient pas davantage grisés ou abasourdis et gardent au milieu du carnage ou de la tempête des bruits et des éclairs, le soin de rester eux-mêmes et de continuer avec une tranquillité, presque insultante à nos émois, l'exercice de leurs talents ! Ils sont restés eux-mêmes et pourtant ce sont d'autres hommes, comme le dit Apollinaire dans une petite chanson ironique : Une femme qui pleurait,
2. « Les Phéniciennes », Le Vase magique, Le Divan, 1923, p. 83-84 LES PHÉNICIENNES Deux petites statuettes phéniciennes sont cause que M. Guillaume Apollinaire est en train de devenir célèbre plus tôt, sans doute, que sa destinée ne l'y inclinait. Théodore de Banville disait que le génie trouve toujours son heure et qu'il est impossible qu'il ne la trouve pas, que le grand homme mourant inconnu représente une absurdité telle qu'on ne peut même la concevoir. Mais il y a bien des manières d'être inconnu, depuis l'obscurité complète jusqu'à la vague notoriété. Je trouve Banville fort optimiste, mais je trouve aussi que son affirmation se réalise assez souvent Que faut-il pour cela ? Presque rien : être mêlé, par exemple, à une aventure scandaleuse à laquelle on n'a rien compris, ce qui représente assez bien l'histoire d'Apollinaire. La vie est tissée d'absurdités et d'injustices assez singulièrement mêlées de fils de couleur qui en représentent les événements transitoirement heureux. Ce n'est pas gai pour un honnête homme de se voir retenu en prison par un juge distrait ou trop scrupuleux, mais au même moment qu'elle vous étrangle, l'invisible main du destin vous fait, sans s'en douter, une faveur. C'est une manière de raisonner qui ne sera pas admise par tout le monde et je connais assez Apollinaire pour estimer qu'il se fût volontiers, à ce prix, passé d'une célébrité aussi soudaine. Mais je ne crois pas non plus qu'il s'en étonne beaucoup. Il a écrit des histoires encore plus extraordinaires que son aventure. Quand il en sera remis, quel joli conte il fera avec les statuettes phéniciennes, et comme il saura bien nous montrer la fatalité qui dormait dans leurs yeux, car c'est un fait, les femmes en pierre ont souvent un mauvais regard. 3. « Sur un portrait », La Fin de l'art, Les Cahiers de Paris,1925, p. 27-29 SUR UN PORTRAIT Les nouvelles générations de poètes et d'artistes s'engagent dans une voie esthétique où il va être bien difficile de les suivre. A les considérer, les plus hardis des beaux esprits se sentent croître des oreilles d'âne, des yeux de cheval et des âmes de pompiers. Tout ce qu'on a vu en fait de révolutions dans la littérature et dans l'art, et dont on nous conte l'histoire, n'est rien en comparaison de celle qui se prépare et qui est déjà fort avancée. Que l'on prenne par exemple le dernier volume de Guillaume Apollinaire. Ce sont des poèmes et il s'intitule Alcools. C'est juste, car ils enivrent de plusieurs manières, soit qu'on les respire, soit qu'on les touche ou seulement qu'on les regarde. Ils ne comportent pas de ponctuation et pourtant ne sont pas plus obscurs que tels autres qui en sont surchargés. Mallarmé avait déjà écrit des poèmes sans ponctuation, mais brefs et qui ne voulaient donner que des images ou des sensations uniques. Apollinaire risque de longs poèmes dénués de ces petits signes qu'on nous a habitués à croire indispensables et il prouve ainsi leur inutilité, au moins en poésie qui procède moins par analyse intellectuelle que par accumulation d'impressions. La couverture porte : « Avec un portrait de l'auteur par Pablo Picasso. » On tourne et voici une épure géométrique fort belle où l'on distingue au bout d'un moment un œil en haut et l'autre plus bas, quelques cheveux jetés dans un coin vers le sommet, une oreille aussi, en somme rien de ce qu'on appelle vulgairement un portrait et cependant on sent que l'artiste sait dessiner, qu'il n'a nullement fait un gribouillis de hasard, qu'il obéit à une méthode. C'est du cubisme, par le maître du genre. C'est comme cela maintenant que les muses voient leurs poètes et les bourgeois leurs épouses. Il faut entendre Apollinaire, homme intelligent, trop intelligent, vous dire : « Dans peu, vous vous y habituerez ; l'œil reconstruira. Ne lui en donne-t-on pas les éléments ? Quand on aperçoit quelqu'un, ne le voit-on pas par petits morceaux successifs ? » C'est beaucoup d' « alcools » à la fois ; cela monte un peu à la tête. N'importe, voilà un livre dont je ne me priverais pas volontiers.
Disjecta membra : Mercredi [1911]. J'attendais une lettre ce matin. En attendant j'ai quelque chose à vous envoyer. J'avais prié Apollinaire l'homme aux contes affreux d'aller voir l'exposition de votre mère et d'en parler comme il convient dans l'Intransigeant, où il fait la critique d'art. Il a été aimable comme vous le voyez. Je serais content que vous le remerciiez, en l'absence de Mme B..., d'un mot sur une carte (37, rue Gros) (Lettres intimes à l'Amazone). Remy de Gourmont vu par Apollinaire
Dans Amour et poésie d'Apollinaire d'André Rouveyre, Seuil, 1955, sont reproduites 32 photos en haut et à droite des trente-deux premières pages, avec le commentaire suivant : Le livre tenu de la main gauche, feuilletez ces premières pages du pouce droit, et vous verrez se dérouler le film d'Apollinaire en compagnie d'André Rouveyre le 1er août 1914. |